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LA PETITE CHOUANNERIE ou HISTOIRE IH \ COLLÈGE BRETON SOUS L'EMPIRE. PAR A. F. RIO Poliùs mori quara fnedari. Devine des Bretons. LONDRES MOXON, DOVER STREET 184-2 HISTOIRE d'un COLLÈGE BRETON SOUS L'EMPIRE. CHAPITRE PREMIER Quant à moi, j'avouerai naïvement que je n'ai jugé de la grandeur du géant que lorsqu'il a été couché ; mais je suis fort excusable de ne l'avoir pas plus tôt mesuré du regard : il avait le pied sur ma léte. Ch. Nodier. Lorsque les populations Armoricaines , après dix années de résistance opiniâtre , firent la paix avec la République française, il ne faut pas croire qu'elles prissent vis à vis d'elle l'humble attitude d'un parti vaincu. La. campagne de 4799 leur avait donné, plus 1 2 LA PETITE CHOUANNERIE. qu'aucune des précédentes, la conscience de leurs forces , et les concessions faites aux insurgés par les consuls dans les différents arrêtés qui suivirent leur proclamation du 7 nivôse, concessions que la jus- tice et l'humanité seules ne leur auraient jamais arra- chées^), prouvent assez qu'ils partageaient l'opinion de ce général républicain qui avait appelé la chouan- nerie une guerre de géants. Le traité de pacification ne rendit pas aux Bretons tout ce que la révolution leur avait ôté; ils ne recou- vrèrent ni leurs états provinciaux , ni les privilèges stipulés par le contrat de mariage de la duchesse Anne, ni la dynastie royale doublement légitime pour eyx depuis le martyre de Louis XVI ; mais ils obtin- rent ce qu'ils avaient toujours présenté comme leur ultimatum à chaque nouvelle prise d'armes, c'est-à- dire la restauration du Christ , de ses autels et de ses ministres. Le spectacle qu'offrit alors la Bretagne devait res- sembler beaucoup à celui qu'avaient offert certaines villes romaines après les grandes persécutions. Les (0 Les églises non aliénées furent rendues au culte catholique ; on cassa les arrêtés des administrations départementales qui, pour se conformer à l'annuaire républicain , avaient ordonné que les églises ne seraient ouvertes qu'aux jours de décade; amnistie en- tière fut accordée à tous les chouans qui rentreraient chez eux et livreraient leurs armes ; enfin, on substitua au serment si impoli- tiquement exigé des prêtres , la simple promesse de fidélité à la constitution, sans parler de la concession plus importante faite par le Directoire, qui exempta les départements de l'ouest de la levée de deux cent mille hommes ordonnée par lui. CHAPITRE PREMIER. 5 pasteurs qui avaient tout bravé pour être à portée de - bénir et de consoler leurs ouailles , sortaient de leurs réduits bien autrement tristes que les catacombes , et reparaissaient au grand jour, décharnés et vieillis, mais tout resplendissants des stigmates de la persé- cution. On se pressait sur leurs pas dans des églises sans images , sans cloches , sans autel , souvent sans toiture , et les bonnes âmes étaient obligées de fixer leurs yeux à terre pour ne pas voir les figures et les inscriptions obscènes tracées sur les murailles. Mais ces ruines et ces insultes furent précisément ce qui inspira les allocutions les plus sublimes; presque par- tout le premier sermon fut sur le pardon des injures, et cela se prêchait à des vieillards, à des femmes et à des orphelins blessés dans leurs affections les plus chères, et dont les blessures étaient encore saignantes. Après les pasteurs restés à leur poste pendant la tempête, vinrent ceux qu'un raffinement dç barbarie républicaine avait privés de la palme du martyre pour les laisser pourrir dans des cachots infects. Ceux-là pouvaient se vanter, si leur humilité n'eût égalé leur patience, d'avoir épuisé la coupe de la souffrance hu- maine ; et s'ils avaient voulu faire vouer leurs persé- cuteurs aux divinités infernales, certes la matière ne leur eût pas manqué, surtout à ceux qui avaient sur- vécu aux tortures inouies des pontons de Roche- fort^); mais ce n'était pas ainsi que ces glorieux dé- (1) Voir la relation très-détaillée de tout ce qui fut souffert 4 LA PETITE CHOUANNERIE. bris de la milice la plus sainte et la plus éprouvée qui fut jamais, comprenaient le dernier acte de leur apos- tolat : au point où ils étaient parvenus, l'oubli du mal qu'on leur avait fait n'était même plus un sacrifice. Un peu plus tard arrivèrent les prêtres déportés en 4792; ceux-là étaient proportionnellement plus nombreux , parce que les vengeances républicaines n'avaient pu les atteindre. Leur rentrée dans leurs paroisses fut un véritable triomphe. Il y eut des scènes attendrissantes dont le récit, dans la bouche des témoins oculaires, émeut encore aujourd'hui jusqu'aux larmes. Il semblait qu'au contact de ces hommes de Dieu toutes les âmes devinssent héroï- ques. On priait d'abord pour ceux qui les avaient persécutés , puis pour ceux qui les avaient accueillis et consolés sur la terre étrangère ; puis on entonnait de tout son cœur le cantique d'action de grâces : Benedictus Dominus Deus Israël, quia visitavit et fecit redemp- tionem plebis suae... Salutem ex inimicis nostris et de manu oro nium qui oderunt nos..- Une réflexion attristante venait troubler toutes ces joies, c'est que le nombre des prêtres rentrés était loin de suffire aux besoins des fidèles, et qu'il n'y avait plus de pépinière où le sacerdoce pût se recruter. Il par les prêtres bretons et vendéens à bord des vaisseaux les deux Associés et le Washington, dans la rade de 111e d'Aix. Cet opus- cule, l'un des plus précieux pour l'histoire de cette horrible époque, peut très-bien servir de pendant à celui de Lactance sur la dixième persécution. CHAPITRE PREMIER. 5 y en avait tant qui avaient prématurément vieilli dans l'exil, et qui, en revenant avec leurs glorieuses infir- mités au milieu de leurs ouailles , avaient excité au- tant de pitié que d'admiration ! Ainsi les ruines matérielles du sanctuaire n'étaient pas les seules ni les plus pressantes qu'on eût à répa- rer. Le pain de vie pouvait manquer un jour à la génération naissante , si les vieux pasteurs ne pour- voyaient d'avance à ses besoins , en choisissant et instruisant eux-mêmes leurs successeurs futurs; car ce n'était pas sur les hommes qui gouvernaient alors la France, que la vigilance pastorale pouvait se re- poser d'un pareil soin. Les presbytères, ou les masures qui en tenaient lieu, devinrent donc autant d'écoles préparatoires où les candidats afiluèrent , parce qu'ils pensaient que TÉglise pouvait d'un jour à l'autre devenir militante et offrir à ses ministres de nouvelles palmes à cueil- lir. C'étaient surtout les mères qui ambitionnaient pour leurs fils cette périlleuse candidature. La préfé- rence fut naturellement accordée aux enfants aux- quels la République n'avait laissé ni père ni patri- moine, et quand le collège de Vannes fut rouvert en 4804, ceux d'entre ces orphelins dont l'éducation était assez avancée, vinrent T y achever sous des maîtres dont le choix rassurait les familles chrétiennes. On vit alors un rapprochement curieux entre les fils des victimes et les fils des dénonciateurs, des spo- liateurs et des assassins juridiques, les uns et les $ LA PETITE CHOUANNERIE. dérable, qu'il fallut dédoubler les classes et prolonger le cours d'études bien au-delà du terme qui avait été fixé d'abord. Cette prolongation et les relations quo- tidiennes que cinq ou six cents jeunes gens unis par des sympathies communes eurent entre eux pendant six années consécutives , développèrent en eux une sorte d'esprit de corps qui se nourrissait non pas de rivalités puériles , mais des impressions que chacun rapportait du foyer domestique. Pendant les premières années, ce fut simplement un enseignement mutuel d'histoire contemporaine, dans les limites de la ville ou du canton auquel le narrateur appartenait; et comme il n'y avait pas une seule paroisse du Morbihan qui ne fût bien ou mal représentée, il n'y avait pas un fragment des annales de la chouannerie qui ne laissât son empreinte dans ces imaginations ardentes. Comme les souvenirs de l'antiquité classique pâlissaient auprès de ceux qu'évo- quaient ainsi de naïfs enfants , sur les berceaux des- quels avaient coulé tant de larmes et de sang ! Heu- reux était celui qui , ayant eu un chef de chouan ou un prêtre-martyr dans sa famille, était assez éloquent pour faire valoir les exploits de l'un ou le sacrifice de l'autre ; sa supériorité une fois reconnue lui assurait un ascendant analogue à celui qu'exercent les grands poètes sur tous ceux qui sont capables d'admiration. Outre les faits de résistance militaire et les détails de persécutions locales contre tout ce qui n'avait pas fléchi le genou devant l'idole révolutionnaire, il y CHAPITRE PREMIER. % avait , dans la mémoire des hommes et des enfants de la Bretagne , une multitude de légendes , les unes touchantes, les autres terribles, qui avaient surgi des différents points du sol comme une grande moisson de poésie contemporaine; et chaque écolier, en arri- vant au collège , apportait pour ainsi dire sa gerbe ; et ces communications réciproques, roulant presque toujours sur les rapports mystérieux entre le monde visible et le monde invisible , il s 1 en formait, autour de ces intelligences candides, une radieuse atmo- sphère de foi qui défiait pour longtemps toute la puissance du rationalisme. On chercherait en vain , même dans les actes des martyrs ou dans les légendes du moyen-âge , des ré- cits plus touchants que ceux qui circulaient ainsi dans le collège , et qui avaient , pour des enfants si poétiquement crédules, tout le parfum de fleurs fraî- chement écloses. Avec quelle naïveté de foi ils s'asso- ciaient au sentiment qui avait proclamé comme une sorte de supplément aux croyances publiques ces belles formules de canonisation populaire 1 Mais aussi avec quelle âpreté ils propageaient toutes ces légendes qu'on aurait pu appeler vengeresses, et qui, comme les Euménides du paganisme, s'attachaient à tel per- sonnage ou à telle famille réputée maudite ! Et avec quelle dureté ils interprétaient certains passages de la Bible sur les châtiments solidaires , quand , mon- trant du doigt deux pauvres jeunes filles qui travail- laient tout le jour dans l'embrasure d'une fenêtre, 40 LA PETITE CHOUANNERIE. ils se disaient les uns aux autres, d'après un bruit trop accrédité parmi le peuple , qu'en expiation du crime paternel elles étaient tenues là comme pri- sonnières, et que quand elles voulaient sortir de la maison elles trouvaient toujours leurs souliers rem- plis de sang. De cette manière toutes les traditions locales abou- tissaient au collège de Vannes , comme à un foyer commun d'où elles circulaient ensuite de ville en ville et de bourgade en bourgade, aussi sûrement que si elles avaient été propagées par des journaux af- franchis de toute entrave. C'était peut-être un mince avantage pour le pays, tant qu'il s'agissait seulement d'anecdotes et de légendes relatives au passé; mais quand le despotisme militaire se fut mis en hostilité ouverte avec les consciences délicates et les nobles cœurs , le rôle des écoliers , qui colportaient les nou- velles du jour dans leurs paroisses respectives, acquit tout à coup une grande importance. C'était par leur intermédiaire que les vieux prêtres se confiaient leurs sinistres pressentiments sur le dénouement de la crise qui travaillait cette pauvre Église de France. Les précautions de la police impériale étaient trop bien prises pour qu'on sût en Bretagne toutes les avanies que le chef du gouvernement continuait de faire au souverain Pontife (J ) ; mais on en savait assez pour (1) On commença par soumettre les journaux ecclésiastiques à la surveillance de la police ; puis on les supprima en février 1806, et on les réunit en un seul sous le titre de Journal des curés ; mais CHAPITRE PREMIER. M comprendre que c'était le prélude d'une nouvelle pei> sédition, et ceux qui avaient été témoins de la pre-. mière, confirmaient ces sombres pronostics* L'année même où les prêtres bretons apprenaient les premiers torts de Y Empereur envers le Pape,- c'est-à-dire en 4806, on leur transmettait ce fameux catéchisme impérial auquel Napoléon lui-même avait, disait-on , voulu mettre la main , pour rédiger, dans des termes bien serviles, tout ce qui concernait les devoirs de la génération naissante envers lui-même et envers sa dynastie, qu'il voulait qu'on aimât sous peine de damnation éternelle. Bien que ce catéchisme officiel fût revêtu de l'ap-* probation du cardinal-légat et enseigné sans opposi-» tion dans le reste de la France , il fut accueilli avec une telle défaveur dans certains cantons de la Bre- tagne et particulièrement dans le diocèse de Vannes, qu'il fallut tout d'abord renoncer à le faire apprendre aux enfants dans les paroisses rurales, où le traduc* teur d'une pareille œuvre, qu'il fût maître d'école ou curé, n'aurait pas été moins odieux qu'un agent de police ; et comme la répugnance des villes, sans être aussi unanime, était cependant assez forte pour que le nouvel évéque désespérât d'en triompher, on prit il fallait éviter soigneusement les allusions les plus éloignées aux affaires du jour, et ne jamais parler des querelles entre le Sacer- doce et l'Empire, entre la cour et le parlement, etc., puis, au bout de quelque temps, on saisit la première occasion pour suspendre la publication du journal. 42 LA PETITE CHOUANNERIE. le parti d'imprimer, sous le titre respectueux tf£x- trait du catéchisme de l'Empire, un manuel bien inoffensif assurément, mais dont on avait élagué toutes ces phrases serviles qui faisaient monter le rouge au visage des catéchumènes. Le scandale fut grand parmi les adulateurs du pouvoir quand ils ap- prirent cette audacieuse mutilation, et le directeur de l'imprimerie, en donnant Tordre de mettre l'ouvrage au pilon, leur parut n'avoir sévi qu'incomplètement; il aurait fallu que le châtiment s'étendît à l'auteur. Gomme le général Foy a raison de dire quelque part qu'on avait alors en France la carcasse politique de Gonstantinople , et qu'il ne restait plus ni dans les mœurs ni dans les lois aucun moyen de résistance aux erreurs ou aux abus de l'autorité 1 La position du clergé Breton devenait de jour en jour plus critique; car ce n'était pas seulement contre les prétentions tracassières de la puissance impériale qu'il avait à se débattre ; il avait de plus à soutenir une sorte de guerre intestine contre les prêtres anti- concordataires qui avaient leurs ouailles et leur culte à part, et qui, sous le nom de petite Église, entrete- naient un malheureux schisme dans le pays. Leurs partisans n'étaient pas nombreux; mais ils étaient opiniâtres, enthousiastes , et assez rancuniers contre quiconque les traitait de schismatiques ou les mena- çait d'excommunication. Ceux qui avaient accepté l'amnistie se contentaient d'une opposition passive; mais ceux qui avaient encore les armes à la main , et CHAPITRE PREMIER. 45 qui se cachaient dans les campagnes, auraient fait un mauvais parti à tout prêtre concordataire qui aurait poussé trop loin son dévouement au pouvoir. Mais cet excès n'était pas à craindre parmi nos prêtres in- digènes. Le nouvel évèqûe, M. de Pancemont, enhardi par la soumission de la très-grande majorité de son clergé, commit quelques imprudences qui ne lui furent pas pardonnées. Il déplaça de vieux pasteurs qui n'avaient d'autre tort que celui d'être en trop grande vénéra- tion parmi leurs paroissiens, et dans ses instructions pastorales, il se montra trop dominé par sa recon- naissance pour son auguste bienfaiteur. Tous ces griefs furent envenimés par la scandaleuse affaire du catéchisme, et Tannée même où éclata ce scandale, une bande de chouans insoumis arrêta le pauvre évêque au milieu d'une lande, le dépouilla de ses ha- bits épiscopaux pour l'affubler d'un costume de meu- nier, lui fit payer une rançon de trente mille francs, montant d'une gratification qu'il avait, disait -on, reçue de l'Empereur , et enfin le renvoya tellement terrifié par son aventure , qu'il en mourut quelque temps après. A quelques jours de là les écoliers aperçurent , en sortant du collège, une charrette où des morts et des vivants étaient entassés pêle-mêle. C'étaient les au- teurs de l'attentat dont Tévêque avait été la victime. Surpris dans un grenier par un détachement de gen- darmes, ils se défendirent comme des lions. L'un A4 LA FEUTE CHOUANNERIE. d'eux se fit tuer sur place; les autres ne furent pris qu'après avoir été criblés de blessures. Les habitants leur témoignèrent assez peu de sym- pathie; le clergé fut à peu près unanime dans son improbation, et ne refusa pas de lire au prône de la grand 1 messe une circulaire des vicaires généraux où ceux qui avaient porté leurs mains sacrilèges sur l'oint du Seigneur étaient traités de brigands, de scélérats et de monstres. La petite Église, qui venait de se mon- trer si terriblement militante, mérita de ptûs en plus son nom en s'amoindrissant tous les jours, et les vieux chouans , pour n'être pas confondus avec les auteurs d'un acte si impopulaire, exprimèrent hautement leur désaveu à qui voulut l'entendre. Enfin il y eût une réaction manifeste dans l'opinion des villes et des campagnes, réaction dont profitèrent habilement les autorités locales pour exécuter le décret qui avan- çait la conscription de six mois, et pour lever le con- tingent voulu sur les populations armoricaines jus- qu'alors si récalcitrantes. Une lettre de l'évêque , écrite en janvier \ 807, annonçait que les levées s'opé- raient, dans le Morbihan, avec tranquillité, que le nombre des désertions diminuait tous les jours, et que dans la ville du Faouet, douze conscrits réfractaires s'étaient présentés à la municipalité après le prône de la grand' messe (\). Il ne faut pas oublier que six mille nouvelles succursales venaient d'être mises à la (1) Cette lettre se trouve aux archives du ministère des cultes. CHAPITRE PREMIER. 45 charge du trésor impérial , et que huit mille bourses venaient d'être réparties entre les séminaires diocé- sains. De plus, on avait fini par laisser aux curés la li- berté d'enseigner et d'expliquer le catéchisme comme ils l'entendraient, et on leur avait fait croire que l'ar- rivée du cardinal de Bayanne à Fontainebleau, allait mettre un terme aux démêlés qui avaient scandalisé la France et irrité la Bretagne. A ce prix, cette pauvre Bretagne, encore tout épuisée par ses guerres civiles, voulait bien verser une bonne partie du sang qui lui restait, pour aider à l'accomplissement des grandes destinées vers lesquelles le chef de l'Empire marchait à pas de géant. Elle ne voyait ni injustice, ni impiété dans les guerres qu'avaient terminées les victoires de Friedland et d'Àusterlitz, et c'était tout au plus si elle croyait l'Âutriche assez châtiée pour avoir jeté sur la Vendée les trente mille soldats républicains qui com- posaient la fameuse garnison de Mayence. Tout ce que les Brelons demandaient, c'était pleine liberté de con- science pour eux, pour leurs pasteurs, et surtout pour le chef visible de l'Église; mais dans cette liberté de conscience ils comprenaient le droit de n'être les com- plices d'aucune iniquité flagrante, et celui de ne point adresser à Dieu des prières absurdes ou hypocrites. On disait alors, et on a répété bien souvent depuis, que c'était le clergé qui travaillait sourdement ces populations ignorantes, et que, sans la domination cléricale elles auraient obéi comme les autres. Sans doute le clergé breton ne s'est pas tu devant les 46 LA PETITE CHOUANNERIE. grandes choses qui se faisaient alors, comme la ferre s'était tue devant Alexandre, et c'est là précisément ce qui fait sa gloire; car il n'a élevé la voix ni par esprit de faction ni par esprit de vengeance, et certes personne n'aura l'impudence de dire que nos prêtres aient abusé de leur influence pour dégrader nos caractères. Ne dirait-on pas que Benjamin-Constant a voulu nous laver d'avance de ce reproche , quand, après avoir flétri tous ces hommes soi-disant éclairés qui cherchaient dans l'impiété un misérable dédom- magement de leur servitude , il écrivait ces paroles remarquables : « Pour moi, je le déclare, s'il faut opter, je prê- te fère le joug religieux au despotisme politique. Sous « le premier, il y a du moins conviction dans les « esclaves , et les tyrans seuls sont corrompus; mais « quand l'oppression est séparée de toute idée reli- « gieuse, les esclaves sont aussi dépravés , aussi ab- « jects que leurs maîtres (4). » Ainsi , même au point de vue philosophique , et indépendamment de la vérité intrinsèque de leurs croyances, les Bretons faisaient bien de mettre le Sacerdoce avant l'Empire , et l'autorité ecclésiastique avant l'autorité préfectorale. Il est vrai qu'on avait contre eux la ressource des baïonnettes, et qu'on ne s'en faisait pas faute; à quoi Ton peut répondre avec madame de Staël que tous les hommes médiocres ap- (I) De V Usurpation et du Droit de conquête. CHAPITRE PREMIER. 47 pellent volontiers les baïonnettes à leurs secours , afin d'agir par quelque chose qui soit aussi machine que leurs tètes. On peut dire qu'à dater de 4809 il y eut rupture entre l'élite des populations bretonnes et le gouver- nement impérial. La confiscation des états pontifi- caux , sous prétexte que le Pape ne voulait pas décla- rer la guerre aux hérétiques Anglais, aurait suffi pour susciter de sérieuses résistances dans un pays où la religion catholique était aimée en raison de ce qu'on avait souffert pour elle ; mais indépendam- ment de cette insulte et de tant d'autres faites à toute l'Église dans la personne de son chef, la Bretagne avait , depuis l'année précédente, un grief qui l'avait blessée au cœur, et ce grief était la guerre d'Espagne. Un des spectacles qui reposent le plus délicieuse- ment l'imagination de ceux qui lisent ou qui écrivent l'histoire, c'est de voir des sympathies séculaires sub- sister , sans autre racine que de vagues traditions , entre des peuples qui se connaissent à peine , et faire pour ainsi dire explosion de loin en loin, en dépit des injures que se disent et du mal que se font les gou- vernements respectifs. Ce n'est pas la communauté d'intérêts matériels qui peut établir ce genre de rela- tions : l'histoire des vicissitudes du commerce euro- péen prouve assez que rien ne s'use aussi vite que les amitiés mercantiles. Pour les nations comme pour les individus , il ne saurait y avoir de sympathie du- rable que celle qui se rattache à un principe spirituel. 4$ LA FETJT£ ÇH&VAWW&IK- Or tétait pour la défepsedun grand intérêt sçà* rituel que les Bretons et les Espagnols s'étaient donné la main au xvi e siècle , et quelque insidieuse que put être la politique de Philippe 11 , ses soldats ne furent pas avares de leur sang, et même ils laissèrent des sou\£pJr$ très -honorables parmi leurs eo-religion- aajres armoricains (4). Pey d'apnées après la mort de Louis XIV , à 1 £pç>que qù 1$ régent voulut briser en France toutes les résistances parlementaires, les Bretons tournèrent çmcpre les yeux vers l'Espagne , et même ils envoyè- rent à Madrid des plénipotentiaires chargés de traiter gyec Philippe Y des conditions de l'alliance; car les ^gociations se faisaient comme de puissance à puis- sance , ei elles avaient pour base F indépendante ah* §plue du duc^é de Bretagne (2). Les négociateurs ap- portaient un aete fedératif signé par presque toute la noblesse, qui promettait l'armement immédiat de sçs vassaux , et ils monument les décisions des juris- consultes et des parlementaires , qui , se fondant sur ce qrçe ]es franchises provinciales avaient été violées, déclaraient nul l acté d'union qui les avait garai*- ^ies. Avec des dispositions si prononcées parmi les gentilshommes et les paysans (5) , le cardinal Alhé- (1) Voir les Mémoires du chanoine Moreau. (2) C'était à cette occasion que madame de Maintenon écrivait ^.jpa4aipe 4e Caylus : « J'admire les Bretons : toute la sagesse « des Français est donc dans cette province-là. » Leitre CXLVI. (3) Voir sur celte insurrection les curieux détails donnés par CHAPITRE PREMIER. 49 roui ne douta pas du succès de son intervention, et il promit qu'une flotte partirait incessamment des porto de Cadix et du Passage, avec des armes fabriquées en Eataamatdure et trois mille hommes de débarqué* ment. Oo «ait avec quelle vigueur le vieux maréchal de Montesquiou étouffa cette insurrection d*i premier coup ; on sait avec quel dur mépris de toutes les fermes judiciaires, les principaux chef* furent livrée à une cour martiale, parce que le régent désespérait d'obtenir une condamnation capitale de leurs juges naturels. Il y eut , à Rennes et à Nantes , dés scènes presque aussi tragiques que celles qu'on y vit soixante- quinze ans plus tard , et il fallut toutes les horreurs de cette dernière époque pour effacer dans la nié» moitié dés Bretons le souvenir de la chambre royale de Nantes. Ceux qui purent échapper aux tribunaux extraor- dinaires et aux dragonnades {!), se réfugièrent en Espagne ou ils trouvèrent tous les adoucissements qu'une nation délicate et généreuse pouvait appor- ter à leur infortune; mais ni La sympathie populaire ni la munificence royale ne put rien contre cette &pofigU£, Histoire de la règmc$ f vol. U; la Jbourgeoisie était dé- vouée au régent , et déjà presque toute étrangère au pays. Les mots de droit et de liberté n'étaient inscrits que sur le gonfanon 4es gentilshommes ; il se trouva parmi eux des traîtres vandas au maréchal de Montesquiou, (1) On fit venir les dragons à cause des services qu'ils avaient raadus dans la guerre contre tes€amisards des Cévennes. 20 LA PETITE CHOUANNERIE. triste maladie dont Y exilé breton ne guérit jamais , et qui dans les plus riants pays du monde le fait soupirer après ses landes incultes et son ciel nébuleux. Dans les rues de Séville et de Madrid , on recon- naissait les émigrés Armoricains à la fierté de leur démarche , à la pâleur de leur teint et à la profonde tristesse empreinte sur leurs rudes physionomies. Ce n'était pas la faute des Espagnols si leur sym- pathie pour les Bretons avait été stérile; aussi la reconnaissance de ces derniers subsista -t- elle en dépit de leur défaite, surtout dans les familles dont les chefs ou les membres avaient été si hospitaliè- rement accueillis en Espagne, et plusieurs de ces nobles exilés avaient laissé des fils qui vivaient encore au moment où éclata la révolution française; de sorte que la tradition qui les concernait était encore toute vivante. Quand rassemblée législative eut rendu, sur la demande des administrations locales , le brutal dé- cret qui ordonnait la déportation des prêtres inser- mentés, les uns cinglèrent vers le Nord et les autres vers le Midi, suivant que leurs paroisses étaient situées plus près de la Manche ou de l'Océan. Certes, ceux qui abordèrent en Angleterre ne furent pas à plaindre; cependant ils ne trouvèrent pas un enthou- siasme tout à fait aussi unanime que celui qui éclata dans la catholique Espagne; ils ne trouvèrent pas cette magnifique hospitalité ecclésiastique qui fut exercée envers notre clergé armoricain par les ordres CHAPITRE PREMIER. 24 religieux, par les chapitres, par tous les grands dignitaires de l'Église espagnole, et principalement par l'évèque d'Orense et par l'archevêque de Tolède. Mais surtout ils ne trouvèrent pas Y identité de culte, et ils n'eurent pas, comme leurs confrères exilés dans la Péninsule, la consolation de chanter les louanges de Dieu dans une langue commune aux deux peuples. Après leurs huit années d'exil, nos pasteurs revin- rent le cœur plein au milieu de leurs ouailles. Il va sans dire qu'ils parlèrent de leurs bienfaiteurs avec l'enthousiasme et la prolixité de la reconnaissance.; il y eut même des prières publiques pour ceux d'entre eux qui étaient trépassés. Dans les presbytères, dans les écoles , et quelquefois même en chaire , les Espa- gnols étaient représentés comme un autre peuple de Dieu, préservé par lui du grand naufrage où tant d'institutions chrétiennes avaient péri , et des- tiné à donner tôt ou tard à L'Europe un spectacle qui la dédommagerait de celui qu'elle avait sous les yeux depuis dix ans. Et comme la France était alors en paix avec la nation à qui on pronostiquait de si grandes choses, les prédicateurs pouvaient hasarder ces prédictions, sans que la police en prit ombrage. A Vannes, parmi les prêtres qui exerçaient quel- que influence sur les écoliers soit par l'enseignement soit par la confession, il n'y en avait pas un seul qui n'eut été en Espagne et qui n'aimât à attendrir 23 LA PETITE CHOtUNNEftIE. te» pénitents oh ses élèves par le récit des eoasofa~ tien» qu'il y avait trouvées partout. Aussi ht partie de §06 étode» géographiques qui nous intéressait te plus et «|ui se gravait le mieux dans notre mémoire, était la description de la péninsule espagnole. H y avait une tille, je crois que c'était Santatfder , do«t le non» seul faisait venir les l&rmes aux yeux éé notre vénérable abbé Gayet , et à cette oceasioa A ne manquait jamais, hii te moins commonieatif des hommes r de nous raconter deux ou trois anec- dotes qt»i nous faisaient tressaillir d'admiration. Le saint abbé Basset en partait sur un autre ton ; il ne demandait pas mieux que d'ouvrir son cœur à qui voulait F entendre , et «ne fois lancé il ne tarissait pfas; et il joignait les mains, et il levait les yeux vers le eiet comme pour en faire descendre des bénédic- tions sur ses bienfaiteurs. Hors du collège, Hotte avion» le bon abbé Goujon 1 le père spirituel des trois quarte d'entre nous, lequel avait passé plusieurs années à Salamanque et en était revenu engoué de toot ce qu'il y avait vu. De pareils enseignements, sortant si fréquemment de bombes aussi pures , et par conséquent reçus par nous comme des oracles, devaient nécessairement porter leurs fruits. Aussi la guerre d'Espagne mous pavut-eHe quelque chose de pis qu'une guerre civile; et quand plus tard on eut l'imprudence d'envoyer sept à huit cents prisonniers espagnols au milieu de nous f F empressement tout fraternel que nous \mt téme*» CHAPITRE PREMIER. 2$ $£&mes f leur fit voir que nos affection* étaient restée» libres, Nous partagions tant «vee eux, argeti% vêtements^ nourriture , et nom noos donnions tortë peine incroyable pour noua préparer d'avttwfc m conversation» que nous avions avec eu* en latin. Cet échange parfois si difficile et tonjoarS si eofftâ&) avait pour bobs tm charme qui contrastait sra* gulièrement avec notre indifférence gkreiate pour des prisonniers allemands arrivés presque** même* temps qu'eux dans la ville de Vannes. 11 est vrai que* la différence de religion était pour beaucoup dan» ce contraste. Non- seulement les prisonnier^ esp*> gnols étaient catholiques comme nous, mais ifo nous édifiaient et même édifiaient nos maîtres , lm prêtres comme les laftes , par leur attitude pieuse et recueillie soit au pied des autels soit auprès de* confessionnaux où on les voyait se presser eft foule,, le» offieiers comme les soldats. Des officiers à cou-* fesse et à k sainte table 1 noua eussions dit volon* tiers, comme Mirabeau , que ces mots hurlaient de se trouver ensemble. C'était la première fois que nous avions un tel spectacle sous le» yeux. Et nous trouvions doux de penser qu'il y avait un pays oè Ton pouvait encore lever des légions chrétienne*; mais aussi nous trouvions bien dur qu'on voulût armer nos bras pour les combattre , et contraindre nos prêtres à prier pour le succès d'une guerre si impie ; et les choses en vinrent au point que la voix du patriotisme fut étouffée par celle de la conscience. 24 LA PETITE CHOUANNERIE. Tant que nous n'étions pas appelés au service des autels ou à celui des camps , notre hostilité n'avait rien de bien dangereux pour le pouvoir; mais en attendant que notre tour vînt de lui résister en face , il avait d'un bout à l'autre de la Bretagne , et parti- culièrement dans le Morbihan , des ennemis plus mûrs que nous pour le combattre et pour le mau- dire , des ennemis que leur nombre et leur énergie rendaient de jour en jour plus formidables. Les prêtres poussés à bout commencèrent à ne plus tenir compte des circulaires épiscopales qui leur enjoi- gnaient de prêcher F obéissance aux lois de l'Em- pire et surtout à celles qui grossissaient chaque année l'impôt du sang ; et lorsqu'en dépit des pré- cautions de la police, ils surent enfin d'une manière certaine que le Pape avait lancé une bulle d'excom- munication non-seulement contre l'usurpateur de ses états , mais aussi contre les fauteurs et complices de l'usurpation, leur résistance prit un caractère bien autrement grave. On ne gagnait rien à leur dire que l'obéissance à l'Empereur était le plus saint des devoirs; cette maxime ne convenait pas plus aux pasteurs qu'à leurs ouailles, et ni les uns ni les autres n'étaient disposés à comprendre les pré- ceptes du christianisme dans le sens du catéchisme impérial (4). (1) L'auteur du livre intitulé V Arbre des batailles, qui fut écrit par ordre du roi Charles Y, dit qu'un soldat qui est tué dans une guerre injuste, n'a pas de salut à espérer. Denis le chartreux ( De CHAPITRE PREMIER. 25 La question à résoudre était celle-ci : maintenant qu'il n'y avait pas d'attentat dont un soldat de l'Em- pereur ne fût exposé à devenir le complice , ne cou- rait-on pas risque de perdre son âme en se faisant un instrument d'oppression entre ses mains tantôt sanglantes et tantôt sacrilèges ? Qui pouvait répon- dre à un conscrit chrétien qu'il ne serait pas chargé de quelque expédition honteuse comme celle du fossé de Vincennes ou du mont Quirinal (4 )? Aurait-il le courage de monter à l'assaut d'une ville espa- gnole , au risque de . porter le fer et le feu dans ces maisons hospitalières qui avaient abrité si longtemps les pères de la patrie bretonne? Non, mieux valaient la désertion et la vie sauvage dans les plus sombres forêts du pays, mieux valait la ruine des familles et la présence perpétuelle des garnisaires au foyer domestique, mieux valait la mort, ou par la carabine des gendarmes , ou par l'épuisement , ou même par le fer de la guillotine quand on était pris avec une arme quelconque à la main. Tel fut le cri qui sortit de presque toutes les con- sciences , et auquel répondirent tous les caractères vitd et regimine privcipum ) se prononce tout aussi fortement. Voir les maximes de l'Europe catholique au moyen-âge sur la légi- timité des guerres, dans le volume IX du bel ouvrage de Digby : Mores catholici. (1) Ce fut de son palais du mont Quirinal que le saint Père fut brutalement arraché par le général Radet, dans la nuit du 5 au 6 juillet, au moment où l'Empereur venait de remporter la vic- toire de Wagram. 91 LA mflE CHOIfiltftCltlE. qui se trouvèrent asse* fortement trempés pont 1 y obéir. LeSéanton» de Rigiïan et de Baud ne délriere- ttrent pas lefcr vieille renesfrmée. Dan» le premier, le noitobre de» déèerteur» se compta bientôt par cteK*» faines, et il y eut pin» d'une remontre fatale an* gen* darmes chargés de les poursuivre. À Baud, le signal fut donné papr un beau et brave paysan, nommé CoriN afantin Le Poitevin, qufj dans son enfance, avait serti les messe» clandestines qui se disaient de finit dam le» granges f où il arrivait ordinairement porté sut le» épaule» du fameux Jean*Jan. À quatorze ans , il aétait battu senl contre si* gendarmes dan» ime atn berge, et le jour oô on le fit tirer k la conscription? i A entra dan» une telle foreur contre le» officie*» char* gés deeette odieuse opération i qu'il le» mit ton» en déroute après avoir brisé les banc» sur lesquels iH siégeaient dan» l' église; Plusieurs scènes du même genre, indiquant attiott b même vigueur, du îrtoJm te même esprit, se pas- sèrent en Bretagne dè» \ 808, et, dans le eouraut de» are années cjui suivirent, la résistance devint te règle, et V obéissance au* loi»; F exception. Les forêt» étaient plus peuplées que les villages , et le pays , occupé ou parcourt en tout sens par la forée armée , avait Un âspeet presque aussi sortifcfé qtfe dans ïes mauvais jours de la révolution. - Madame de Staël a dit qu'il n'y à rien de si violent *& matin sur la w*te 52 LA PETITE CHOUANNERIE. du Port-Louis à Merlèvenez, et chantait à tue-tête, pour être entendu de loin par les condisciples qui avaient promis de se trouver ce jour-là sur leur passage. Tout à coup, nous vîmes venir vers nous, au grand galop, un courrier dont le chapeau était couvert de cocardes blanches, et qui , se démenant comme un forcené sur son cheval, dont il avait lâché la bride, semblait nous adresser de loin des cris inarti- culés, auxquels nous ne pouvions rien comprendre. Enfin , nous entendîmes distinctement le cri de vive le roi! Notre ébahissement fut tel , que nous ne ré- pondîmes rien d'abord. La famille dont il nous an- nonçait le retour était si complètement étrangère à notre génération , que nous dûmes demander avant tout si Louis XVIII était un Bourbon. Mais à mesure que nous avancions , nous nous éclairions de plus en plus ; puis les éclaircissements furent embrouillés par l'enthousiasme qui nous gagnait à mesure que nous le voyions éclater dans tous les hameaux qui bordaient la route. Les habitants d'Auray, hommes, femmes et enfants , semblaient agités par une joie presque délirante, dont les transports redoublèrent à notre vue; car nous marchions en bon ordre, sur une double file assez longue, et enseigne déployée, c'estnà-dire avec un mouchoir blanc au bout d'une perche; et nous venions de recruter, dans un élève de Guiscriff nommé Le Tiec, un infatigable chan- sonnier, qui accélérait et régularisait notre marche. Nous formions alors un détachement assez nom- CHAPITRE II. 55 breux et assez électrisé pour n'avoir pas peur de nous compromettre. Aussi , malgré l'aspect sinistre et presque menaçant que nous offraient les abords dé Va unes, où la bourgeoisie révolutionnaire, très favo- . risée sous l'Empire, n'avait pas encore abdiqué son pouvoir, entrâmes - nous hardiment dans la ville, avec les mêmes chants et la même bannière qui nous avaient fait traverser si triomphalement la foulé joyeuse dont les rues d'Auray étaient encombrées. Arrivés sur la grande place, nous apprîmes que le Domine salvum fac regem allait être chanté à la cathédrale, après la bénédiction du soir, et, sans prendre le temps de secouer notre poussière, nous allâmes prêter le secours de nos voix, et au besoin celui de nos bras, à cette inauguration , qu'on mena- çait d'interrompre par des cris ou même par des voies de fait : l'interruption annoncée n'eut lieu ni ce jour-là ni aucun des jours suivants, et les progrès de l'opinion publique furent si rapides, qu'on vit un bon nombre de citoyens qui nous étaient suspects, figurer dans les réjouissances et dans les fêtes avec une effervescence de zèle qui promettait un long ave- nir de dévouement. Ce fut alors que les écoliers du collège eurent pour la première fois l'idée de s'organiser militairement, pour figurer avec plus d'ensemble dans toutes les occasions solennelles. Chaque classe forma une com- pagnie, dont les officiers étaient élus par les soldats ; et ces officiers réunis formaient une espèce de con- $4 LA PETITE CHOUANNERIE. séil y qui tenait ses séances en plein champ, et dont ks décisions étaient quelquefois en conflit avee l'au- torité, encore intacte, de notre Principal, ou «vee les exigences turbulentes de leurs commettants. Qui de bous petit avoir oublié les deux factions qui divisè- rent le collège quand il fut question de nommer on général en ebef , et l'explication si orageuse qui eut Ueu un certain soir sur la route du Bondon ? Àliz avait pour lui le droit de premier occupant , et le souvenir de ses harangues populaires ; le grand Ni- eolas, assez pauvre orateur, mais plus grave de ca- ractère, et plus digne à tous égards de marcher à notre tète et de nous représenter dans les grandes circonstances, avait pour lui les suffrages de la fac- tion qu'on aurait pu appeler aristocratique, à cause de l'importance qu'elle attachait à une certaine di- gnité extérieure, dont il ne fallait pas chercher le moindre vestige dans la personne ni dans les ma- nières du pauvre Àliz. Et cependant en annonçait la prochaine arrivée d'un Prince du sang, devant lequel notre général aurait à paraître en notre nom , et auquel U nous importait beaucoup de ne pas don- ner une idée trop désavantageuse des enfants de la Bretagne» Ce fui surtout cette considération qui fit pencher la balance en faveur du grand Nicolas. Le duc d'Angoulème it son entrée dans notre ville; maïs nous jouâmes un assez triste rôle dans les fêtes auxquelles son arrivée donna lieu. Notre harangue ne fut pas débitée f notre musique , que CHAPITRE II. 55 nom avions eu tant de peine à organiser, ne fut pas entendue, et nos manœuvre» militaires, auxquelles nous noua étions exercés deux mois d'avance sans y manquer un seul jeudi , ne furent pas exécutées. Au reste ee ne furent pas les réjouissances ni le* manifestations de joie qui firent la plue profonde impression sur nos esprits; ce fut une cérémonie funèbre à laquelle nous assistâmes avec des disposi- tions qui auraient été bien au-dessus de notre âge , si des circonstances personnellement douloureuses pour un grand nombre d'entre nous ne nous y avaient pas préparés longtemps d'avance. Depuis bientôt vingt ans, les ossements des vic- times de Quiberun gisaient épars sous une légère couche de terre ou de sable; Toutes n'avaient pas été fusillées sur la Garenne. L'administration municipale, dans sa tendre sollicitude pour le bien-être de la bourgeoisie révolutionnaire qui chantait , dansait et faisait exécuter des solos de violon dans la nuit où on amenait Sombreuil (4), avait obtenu, pour des raisons purement hygiéniques , que la fin de*cette sanglante tragédie fût jouée à une plus grànde distanee de la ville. Et c'était par suite de cette concession que trois ou quatre cents prisonniers avaient été immolés sur le (I) L'ouvrage de M. Duchâtelier, de Quîmper, sur Ifristofre de ht Bretagne pendant la révolution, coolies! uas fouis éè petits détails de ce genre dont l'insertion fait honneur à son impar- tialité. Il y a beaucoup de pièces, dans les archives de Vannes, qui a'ont été communiquées qu'à lai. 56 LA PETITE CHOUANNERIE. bord de la mer, non loin de l'Hermitage. Les écoliers qui venaient des îles du Morbihan , en savaient plus long que leurs camarades sur cette dernière partie de la catastrophe, d'abord parce que les vieux marins passaient rarement devant cette plage sans dire un réquiescant in pace , ensuite parce qu'on aper- cevait quelquefois à marée basse des débris d'osse- ments humains qui perçaient le sable ou la vase, et auprès desquels il n'était pas rare de voir échouer un chien galeux qu'on avait noyé dans le port. Qu'on se figure ce que cette vue devait faire éprouver à un enfant dont le père ou l'aïeul partageait avec tant d'autres cette sépulture profane et superficielle ; et qu'on se figure aussi tout ce qui dut se passer dans son àme en 4845, quand il suivit les fossoyeurs chargés d'exhumer tous ces restes qu'on allait enfin déposer dans une terre bénite. C'était une scène qui rappelait à plusieurs d'entre nous celle que Tacite a si admirablement décrite dans le premier livre de ses Annales, quand Germa- aicus va rendre les derniers devoirs aux ossements blanchis des soldats de Varus , qui jonchaient depuis six ans le sol sur lequel ils avaient péri ; car nous aussi, nous ignorions si telle dépouille mortelle qu'on remuait devant nous, n'avait pas appartenu à quel- qu'un des nôtres, et peut-être puisions - nous dans cette incertitude et dans les réflexions qui en nais- saient , autant de colère que de tristesse (4). (1) Nullo noscente, aliénas reUquias,an8uorum, humo Ugeret, i CHAPITRE II. S7 Les vieillards n'assistèrent pas avec plus de recueil* lement que nous au service funèbre , qui se fit dans la cathédrale de Vannes. L'éloge des victimes fut prononcé par l'évèque, qui ne s'éleva pas à la hauteur d'un si magnifique sujet. Le texte qu'il choisit valait mieux que tout son discours : Et exultabunt ossa humiliata. Ces paroles produisirent une vive com- motion dans l'auditoire , et firent venir des larmes dans tous les yeux. Toute l'éloquence du monde n'aurait pu rien ajouter à l'impression qu'elles avaient produite. Le 21 janvier 4845, une cérémonie du môme genre , mais plus solennelle , fut célébrée dans la même église, en mémoire ou plutôt en expiation du crime que la France avait laissé commettre à pareil jour, vingt-deux ans auparavant. Nous y assistâmes avec autant de dévotion que s'il s'était agi de la commémoration ou de la canonisation d'un grand saint; ce qu'on n'aura pas de peine à croire , quand on saura que nous venions de lire pour la première fois le récit des tortures qu'avait subies la victime royale avant d'être immolée. Tous les ouvrages qui auraient pu nous -mettre au courant des crimes commis à cette époque , avaient été si soigneusement exclus des bibliothèques auxquelles nous avions accès , et particulièrement de celle du collège , que peu de nous savaient au juste ce que c'étaient que omnes, ut conjmc'os , ut cwanguineos , auctd in hostem ird, mœsti simul et infensi condebant. Annal., lib. 1, 62. 58 LA PETITE CffOGift KERIE. la Convention et le Comité de salut pabKe* Mais ])endant les dix mot» qui suivirent la première res- tauration, la sphère de nos connaissances historiques s'agrandit rapidement, et 1 histoire de Louis XVI , par L'abbé Proyard, monta tellement b tète aux de rhétorique, que, non contents d'en préférer 4a lecture à celle des chefs-d'œuvre de ta littérature française , ils composaient , en sua de la tâche quo- tidienne imposée par leur maître, de* amplifications flamboyantes , toutes tissues de citations empruntées aux discours de Cicéron contre Catilina et Maro» Antoine. Le sujet de prédilection de notre plus éloquent compositeur, était le monologue de Robes- pierre avant de partir pour l'échafaud. Ceci formait le coté comique de notre enthou- siasme ; mais il se manifestait d'une tout autre manière pendant nos promenades du jeudi, que noua consacrions habituellement et pendant cette année- là surtout , à nos lectures tavorite*. Arrivés au lieu du rendez-vous, nous noua dispersions dans les bois et dans les prairies d'alentour, et quand on avait trouvé une niche bien solitaire et bien embaumée, dans un buisson de genêt ou d'aubépine en fleurs, on y faisait sa lecture tout haut et on sanglotait k son aise; puis, au signal convenu, on rejoignait ses camarades , sans chercher à se remettre de son émo- tion ni à cacher ses larmes ; car on était sûr que celui qui n'avait pas encore pleuré , pleurerait à son tour. CHAPITRE If. 59 C'était après «voir payé bien des fois ce pieux tribut à 1* mémoire du Roi-Martyr , que nos* venions assister à la cérémonie funèbre du 24 janvier, et entendre lire, du haut de la chaire chrétienne, ce testament immortel , que nom comprimes tout aussi bien et peut -être mieux que la plupart des assi- stants. S'il est un Age qui soit à la portée d'une si sublime vertu , e'est celui de t'enthousiasme et de l'ianocenee. Cette commémoration fut vue de très -mauvais mil par la bourgeoisie révolutionnaire, de laquelle k Convention nationale, pendant et après le juge- ment de Louis XVI , avait reçu des encouragements et des félicitations dont toutes ces pompes funèbres réveillaient l'importun souvenir. L'exhumation des victimes de Quiberou suscita des embarras du même genre m signataires d'une certaine requête (t ) dictée par nue immense peur ou par une immense eruauté; de sorte que , quand l'événement du 20 mars vint now rejeter dans notre ancien rôle de parti vaincu , le parti vainqueur, très-lent à pardonner le mal qu'il «vait fait aux père», eut un grief de plus contre les À la nouvelle du débarquement de Napoléon dans ft) Olte îtqaéte, était la leetart feft éwsser les cheveux sur la têt*, est au nombre des pièces dont j* n'ai pas pu obtenir com- munication. Mais M. Duchâtelier , qui a été plus heureux , Ta Imprimée tout an long parmi ses pièces justificatives. 60 LA PETITE CHOUANNERIE. le midi de la France, nous nous assemblâmes tumul- tueusement dans la cour du collège, et, après une courte délibération , nous décidâmes que l'élève réputé le plus éloquent rédigerait sur-le-champ une pétition par laquelle nous demanderions au ministre de la guerre de donner les ordres nécessaires pour armer et équiper trois cents d'entre nous , et pour tirer parti de nos bras et de nos cœurs dans la lutte qui allait s'engager. Le comte de Floirac , alors préfet du département, et très-compétent apprécia- teur du dévouement naïf et désintéressé , accueillit notre députation avec une sorte d'admiration res- pectueuse , et promit de transmettre et d'appuyer notre demande. Mais il accompagna sa promesse d'un mouvement de tète très -significatif, comme pour nous donner à entendre qu'il était trop tard-, ou que nos services ne seraient pas acceptés. Nous ne savions que penser de cette réticence mystérieuse. Les Maréchaux et les Généraux de l'Empire ayant prêté serment de fidélité au nouveau Monarque , nous regardions une défection de leur part comme impossible, et comme incompatible avec l'idée que nous nous faisions de la loyauté militaire. Nous avions trop présentes à la mémoire les nobles paroles que le maréchal Soult nous avaient laissées comme souvenir de son récent voyage en Bretagne ! De sorte que quand nous apprîmes les noms des généraux qui commandaient les troupes dirigées sur la Bour- CHAPITRE II. 64 gogne, nous regardâmes la guerre comme terminée, et nous partîmes pour nos vacances de Pâques avec une sorte de regret d'avoir manqué une si belle occasion de gagner nos éperons. THE EÀGLE AND THE DOVE. Shade of Caractacus, if spirits love The cause they fought for in their earthly home, To see the Eagle ruffled by the Dove May soothe thy memory of the chains of Rome. Thèse children claim thee for their sire ; the breath Of thy renown, from Cambrian mountains, fans À flame within them that despises death, And glorifies the truant youth of Vannes. CHAPITRE II. With thy own scorn of tyrants they advance, But truth divine lias sanctiûed their rage, A silver cross enchased with Flowers of France, Their badge, attests the holy fight they wage. Tlie shrill défiance of the young crusade Their vétéran foes mock as an idle noise ; But unto Faith and Loyal ty cornes aid From Heaven, gigantic force lo beardless boys. W. Wordswortii. CHAPITRE III. Denn derMenach der lur schwankender Zeit aaoh schwankend gesinnt ist, Der yermehret das Ubel und breltet es weiter und weiter ; Aber wer fest auf dem Sinne beharrt, der bildet die Welt ilcb. L'homme qui se laisse ébranler quand tout s'ébranle autour de lui, ne sert qu'A augmenter le mal et A le répandre de plus en plus ; mais celui qui tient ferme, se crée un monde pour lui-même. Gortob, Herrmann und Dorothea. Les événements très-significatifs dont la Bretagne avait été le théâtre pendant les dix dernières années du dix-huitième siècle , auraient dû apprendre aux amis de la révolution, devenus les trop dévoués partisans du despotisme impérial , qu'au point où II* pabtib. 5 66 LA PETITE CHOUANNERIE. en était venu le débat entre V usurpation et la vieille dynastie royale, il ne fallait qu'une étincelle pour donner lieu à une explosion parmi les populations armoricaines. Ils auraient dû prévoir que les vieux soldats aussi bien que les jeunes conscrits refuse- raient le service militaire , et que toute persécution dirigée, soit contre les prêtres, soit contre ce collège de Vannes, d'où étaient sortis les plus terribles champions de l'ancienne chouannerie, amènerait une collision immédiate. Cependant la conscription fut ordonnée , comme si rien d'extraordinaire ne s'était passé depuis \ 84 4 ; le décret du 8 avril imposa aux fonctionnaires pu- blics un serment de fidélité dont les prêtres ne furent pas formellement exemptés , et qui fut même exigé du clergé de Paris ; et les autorités locales n'eurent pas le bon esprit de laisser les écoliers t du collège de Vannes poursuivre tranquillement le cours de leurs études classiques. Les vacances de Pâques les avaient dispersés dans leurs villages respectifs, quand l'ordre vint de sub- stituer le drapeau tricolore au drapeau blanc sur les clochers des paroisses; de sorte qu'ils furent témoins de la consternation générale et en eurent leur bonne part. Ils purent entendre dans les chau- mières les malédictions des mères et des vieillards qui voyaient se rouvrir le gouffre de la conscription pour dévorer leur dernière espérance. Les adieux qu'ils firent à leurs familles furent plus tendres et CHAPITRE If I. 67 plus tristes qu'à l'ordinaire. De part et d'autre il y avait des larmes dans les yeux et de funestes pres- sentiments dans les cœurs. Et pavidae natos pressére ad pectora matres. La veille du dimanche de la Quasi modo, les bour- geois en se promenant hors des faubourgs sur les trois grandes routes qui aboutissent à Vannes, pu- rent se donner le plaisir de narguer du regard les divers groupes d'écoliers qui regagnaient silencieu- sement le collège , d'où ils étaient sortis naguère si joyeux et si bruyants. À ce premier signal d'hosti- lité , vous eussiez vu ces visages imberbes devenir tout à coup virils, et ces yeux que le découragement et la fatigue avaient rendus presque ternes , briller comme des éclairs sous les larges bords de leurs chapeaux enfoncés jusqu'aux sourcils. Avertis dé- sormais qu'ils étaient en présence de leurs ennemis , ils se redressaient de leur mieux pour n'avoir pas l'air d'appartenir à un parti vaincu^ ils marchaient d'un pas plus lent et plus ferme, ne s 1 appuyant presque pas sur leurs pen-baz , comme pour donner à entendre que c'était une arme encore plus qu'un soutien. Le jour de ïa rentrée générale, il y eut des épan- chements réciproques qui soulagèrent un peu les cœurs et exaltèrent beaucoup les tètes. On se racon- 68 LA PETITE CHOUANNERIE. tait les uns aux autres les symptômes de méconten- tement qu'on avait observés parmi les paysans , le dimanche de Pâques, au sortir de la grand'messe, à laquelle les paroissiens avaient assisté avec encore plus de recueillement qu'à l'ordinaire. Partout l'élan joyeux de la fête pascale avait été comprimé, et on avait chanté X Alléluia sur un ton presque funèbre. De vieux curés qui avaient gardé rancune à l'empereur de ses persécutions acharnées contre le pape, avaient assombri les âmes de leurs audi- teurs par des allusions à la catastrophe du jour. Jamais les écoliers campagnards n'avaient si bien retenu les paroles du prône ; mais ce qu'ils racon- taient avec le plus de plaisir, c'était la ferme réso- lution où paraissaient être tous les jeunes paysans , de se faire hacher sur le seuil de leurs chau- mières, plutôt que de répondre à l'appel de la conscription. Il y avait dans le collège un professeur que nous n'avions jamais vu de bon œil à cause des services qu'on l'accusait d'avoir rendus à la cause républi- caine, et son empressement hypocrite à l'époque de la restauration ne nous avait pas réconciliés avec lui. Les sciences mathématiques, qu'il était chargé de nous enseigner, n'ayant pour la plupart des élèves aucune sorte d'attraits ni d'utilité appré- ciable, sa classe se trouvait à peu près déserte, et il se vengeait de nos dédains par des sarcasmes que ses admirateurs n'osaient pas toujours répéter. Âprès CHAPITRE III. 69 le 20 mars , il ne se contint plus. Il allait affichant partout son mépris pour nous et pour nos opinions, et quand des groupes d'écoliers se trouvaient sur son passage, il se posait en vainqueur insolent devant des ennemis à jamais vaincus. Enfin un beau jour il osa traverser la cour en étalant à nos yeux une énorme cocarde tricolore. Notre patience ne tint pas contre cette provocation , et comme nous étions dans l'habitude de respecter beaucoup les caractères et très-peu les fonctions , nous accablâmes le pauvre professeur de huées et d'apostrophes injurieuses. En vain se retourna-t-il deux fois en montrant em- phatiquement sa palme universitaire, emblème de sa dignité méconnue; en vain nous menaça -t- il d'appeler les baïonnettes à son secours ; cette me- nace ne fit qu'accroître la colère des assaillants, qui, trouvant l'occasion belle pour venger tous leurs griefs à la fois, se ruèrent sur le pauvre professeur et le firent rouler avec son beau chapeau et sa belle cocarde dans la poussière. Des plaintes furent portées sur-le-champ aux au- torités locales, et il fut question d'infliger aux plus coupables un châtiment exemplaire; on parlait même de les faire comparaître devant une cour d'assises, et on citait des articles du Gode pénal qui leur étaient applicables. Une formule de repentir collectif fut rédigée en toute hâte par le principal du collège, qui ne savait où donner de la tête. Mais aucun élève ne voulut se charger de la lire au 70 LA PETITE CHOUANNERIE. préfet, parce que les termes en étaient trop hum- bles; H fallut la modifier et la raccourcir, et après plusieurs corrections successives, on eut mille peines è trouver un orateur qui consentit à en charger sa mémoire. Renonçant dès lors aux voies de fait qui avaient de trop graves inconvénients pour notre orgueil , nous transportâmes la question sur un autre ter- rain, et une controverse aussi curieuse qu'animée s'établit entre les écoliers de philosophie et leur professeur, qui s'efforçait de démontrer par les règles d'Aristote, que l'obéissance était aussi bien due à un usurpateur qu'à un souverain légitime. Si la déchéance ou le maintien de Napoléon avait dépendu de ces débats quotidiens , les interlocu- teurs n'y seraient pas venus mieux préparés ni ne les auraient soutenus avec plus de verve, et le compte qui en était rendu dans l'intervalle des classés n'aurait pas intéressé davantage ceux qui n'avaient pas le bonheur d'y assister. Que d'ovations furent alors décernées aux trois champions qui pas- saient pour réfuter et rétorquer le plus victorieu- sement les sophismes du professeur bonapartiste! Les noms de Drogo , de Hécho et de Robin étaient dans toutes les bouches, même dans celles des petits élèves de cinquième qui, habitués à admirer la force prodigieuse du premier et la taille pres- que gigantesque du second , ne savaient pas trop si les victoires auxquelles on applaudissait tant. CHAPITRE III. 74 étaient remportées à coups de poings ou autrement. Dans la classe de rhétorique on faisait aussi de l'opposition , sinon en argumentant contre le pro- fesseur, du moins en profitant de toutes les occa- sions pour manifester devant lui énergiqiiement et respectueusement les sentiments dont nous étions tous animés. Trop inexpérimentés ou trop exigeants pQur tenir compte des difficultés de sa position, nous avions espéré qu'après avoir si récemment par- tagé nos joies et dirigé nos fêtes , il partagerait au moins tacitement nos douleurs. Qu'on juge de notre surprise, quand nous le vîmes paraître un jour avec une toute petite cocarde tricolore en miniature, dont un tout petit bout seulement dépassait le ru- ban de son chapeau 1 II y aurait eu parmi nous une explosion unanime, s'il s'était présenté avec un air de défi; mais son empressement à se découvrir quand il nous aperçut, son visage défait, ses yeux baissés, son attitude presque suppliante, tout cela contrastait tellement avec ses manières habituelles , que la pitié l'emporta sur l'indignation. D'une voix que quelques légers murmures suffirent pour rendre tremblante, le professeur récita le Veni y SancteSpi- ritus en levant piteusement les yeux vers le plafond, et il eut ensuite la délicate attention de rester décou- vert pendant tout le temps de la classe, ce qui, joint à son ton de voix doucereux, lui donnait bien plus l'air d'un criminel sur la sellette que d'un docteur en chaire. 72 LA PETITE CHOUANNERIE. Et nous, dans notre injuste aveuglement, nous attribuions tous ces ménagements à la peur que nous lui faisions , tandis qu'il se dévouait en vrai martyr à la conservation d'un établissement où, dès avant la révolution, il avait fait ses premières études comme élève, ses premières armes comme profes- seur, et où depuis quinze ans il avait contribué plus qu'aucun autre à faire refleurir les études classiques et la piété. Il se souvenait trop bien des scènes dont ce même lieu avait été le théâtre en 4794 , quand les fédérés étaient venus brandir leurs sabres nus dans la cour, et il craignait avec raison qu'on ne suivît l'exemple donné par les administrateurs de cette époque, qui avaient cru que la fermeture du collège était le plus sûr moyen d'éteindre ce foyer de sédi- tion. Si cette mesure extrême était prise , quelle res- source resterait désormais aux familles chrétiennes du. département qui , dans l'alternative d'envoyer leurs enfants au lycée impérial de Pontivy ou de les laisser croupir dans l'ignorance, n'hésite- raient pas à prendre ce dernier parti , l'acquisition de la science ne pouvant jamais balancer à leurs yeux la perte des mœurs? C'était donc une calamité publique qu'il s'agissait d'épargner au pays ; et pour cela, notre vénérable professeur, qui était en même temps principal du collège et sur qui pesait , à ce titre , la plus grave responsabilité , s'imposa coura- geusement la tâche la plus ingrate , celle de média- teur entre nous, frondeurs intraitables, et les auto- CHAPITRE III. 75 rités locales nouvellement installées. Deux ou trois incidents qui survinrent lui eurent bientôt prouvé qu'il n'y avait pas de conciliation possible. Le nouveau préfet, sur le rapport qu'on lui fit de nos premiers essais d'insubordination , répondit en riant qu'on n'avait pas su nous prendre, qu'il fallait nous donner un congé extraordinaire, qu'une bou- derie d'écoliers ne tiendrait pas contre cette faveur, accueillie par eux de temps immémorial avec la plus vive reconnaissance. Mais à peine ce propos, qui devança l'annonce officielle, se fut-il répandu parmi nous , que de toutes parts on se mit à pro- tester tout haut non-seulement contre cette supposi- tion injurieuse, mais bien plus encore contre les prétentions d'un pouvoir subalterne émané de l'usurpation et par conséquent vicié dans sa source , lequel s'arrogeait le droit de changer en jours de fête et de repos des jours qu'il nous plaisait à nous de passer dans le deuil et dans le travail ; et dans la crainte que notre coup ne vint à manquer par la pusillanimité de nos maîtres , nous leur déclarâmes que, s'ils s'absentaient ce jour-là , ils seraient rem- placés dans chaque classe par l'élève que ses con- disciples jugeraient le plus digne de cet honneur. Toutes les fois qu'il y avait un refus ou une pro- testation quelconque à signifier, la classe choisissait pour organe l'élève qui occupait la première place parmi ses camarades , et qui portait en signe de supériorité une petite croix d'argent avec des fleurs 74 LA PETITE CHOUANNERIE. de lis dorées en relief, qui avaient remplacé l'aigle à l'époque de la première restauration. Nous n'avions pas oublié que cette aigle avait été pour nous une innovation scandaleuse en 4842, quand l'université impériale, par une flagornerie indécente et presque sacrilège à nos yeux, ordonna de substituer cette image à celle du Saint-Esprit, comme pour faire tomber en désuétude une invocation superstitieuse et détourner vers un trône terrestre les hommages de nos jeunes cœurs. Cette petite usurpation finit avec la grande usurpation en 4844; mais l'esprit universitaire restant toujours le même, nous conti- nuâmes d'avoir pour décoration l'emblème d'un pouvoir temporel , et malgré notre dévouement à ce pouvoir, cet oubli trouva dans plusieurs d'entre nous de petits puritains assez âpres dans leurs cen- sures. D'après cela on concevra sans peine notre répu- gnance à replacer sur nos poitrines un signe auquel s'attachait spécialement un si odieux souvenir. D'ail- leurs c'eût été reconnaître à la face du pays l'usur- pation si flagrante à nos yeux qui venait d'avoir lieu le 20 mars. C'eût été une capitulation honteuse avec nos ennemis, qui se vantaient de venir à bout de notre résistance puérile. Une marque d'infamie au front, ou un boulet de galérien au pied, ne nous eût pas humiliés davantage. Cependant le préfet du département avait déjà transmis deux fois au principal du collège Tordre CHAPITRE III. 75 formel d'opérer dans les décorations des classes respectives le changement réclamé par les circon- stances, le rendant personnellement responsable de ce qui pourrait arriver aux élèves décorés , s'ils con- tinuaient à étaler un signe factieux devant les gardes nationaux ou les soldats de la garnison. Le pauvre homme craignait pour nous une collision sanglante, encore plus qu'il ne craignait une destitution 'im- médiate pour lui-même. Pour apprivoiser un peu nos humeurs sauvages et préparer le succès de son allocution paternelle qu'il écrivit tout au long, il se mita prodiguer ce jour-là les propos caressants et les anecdotes amusantes. Mais rien de tout cela ne pre- nait; le bonhomme riait tout seul en s'accompa- gnant d'une grimace qui trahissait le plus amer désappointement, jusqu'à ce que, fatigué du mau- vais succès de son prélude, iljlaissa tomber à mi- voix, mais intelligiblement, la demande qu'il avait espéré glisser au milieu de nos éclats de rire. « Mon « bon ami , » dit-il en se tournant vers l'élève qui portait la décoration et qui dut à cette circonstance toute fortuite le rôle assez important qu'il joua plus tard, « mon bon ami , faites-moi passer cette croix , « je vous la rendrai dans quelques jours. » A ces mots, il sé fit sur tous les bancs un profond silence d'attente, et tous les regards se fixèrent avec inquiétude sur l'élève que son heureuse étoile appe- lait en ce moment à formuler tout haut la profes- sion de foi commune. Seulement on regrettait assez 76 LA PETITE CHOUANNERIE. unanimement que cette importante commission fût confiée à un enfant d'assez chétive apparence, plutôt qu'à quelqu'un d'entre ces fiers paysans dont la voix fortement accentuée aurait été mieux adaptée à cette espèce de rôle de tribun. Le petit rhétoricien était instruit de ces regrets , et il avait préparé sa réponse en conséquence. « Monsieur, » dit-il au professeur en le regardant en face, « j'ai à vous dire, au nom de tous mes cama- « rades , que vous gardiez Vos aigles pour vous , « si vous ne voulez pas que nous les foulions aux « pieds. Nous ne voulons pas changer de décoration « aussi souvent que d'autres changent de cocarde , « et nos poitrines ne sont pas faites pour être souil- « lées par ce que nous regardons comme un em- « blême d'apostasie. » Les assistants eurent assez d'empire sur eux- mêmes pour ne pas applaudir ; mais l'orateur put lire sur tous les visages un témoignage plus flatteur que tous les applaudissements. Quant à notre prin- cipal, il pâlit de colère ou d'effroi, balbutia une menace incomplète , déchira sans savoir pourquoi deux ou trois morceaux de papier blanc qu'il trouva sous sa main , et après avoir puisé un peu de cou- rage au fond de sa tabatière , il tira de sa poche un manuscrit plein de ratures sur lequel il nous lut de son mieux un discours saturé de prophéties mena- çantes sur les malheurs qui ne pouvaient manquer de frapper le collège en masse et les élèves en parti- CHAPITRE III. 77 culier, s'ils continuaient d'agiter si passionnément des questions au-dessus de leur âge , et de porter le trouble et le scandale dans le paisible sanctuaire des Muses. Cette journée lui fit un tort considérable dans ■ notre esprit , non pas tant à cause de la croix et de la malencontreuse harangue, qu'à cause d'une ten- tative peu digne qu'il fit en sortant de classe sur l'esprit d'un élève qui exerçait une très -grande influence sur tous ses camarades. Cette influence, il la devait à sa supériorité d'âge et de connaissances, à la noble simplicité de son caractère, à ses ménagements délicats pour la mau- vaise honte de ceux qui avaient la conscience de leur infériorité, à ses habitudes modestes et labo- rieuses , et par-dessus tout à l'expansion affectueuse d'un cœur qui semblait s'enrichir et se dilater par toutes les sympathies qu'il développait dans les autres. À peine relevé d'une maladie que ses. amis et lui-même avaient longtemps jugée mortelle, il avait été accueilli par nous tous, et plus particulière- ment par ses rivaux, avec des transports de joie pro- portionnés à la crainte que nous avions eue de le perdre. Trop faible encore pour prendre part à tous nos exercices littéraires, qui exigeaient souvent une prolongation de veilles, nous lui pardonnions, à plus forte raison, de ne pas jouer, dans nos grands débats politiques, le rôle qui lui appartenait de droit, et dans lequel nul de nous ne pouvait le rem- 78 L.i PETITE CHOUANNERIE. placer dignement. Cet élève , dont j'aurai occasion de reparler plus d'une fois dans la suite, s'appelait Jean-Louis Le Quellec. Trompé par cet air souffrant et par tout cet exté- rieur on ne peut plus pacifique, et comprenant toute l'importance d'une pareille conquête, notre principal , au sortir de la séance orageuse que je viens de raconter, le lit venir à la direction, qui était comme le quartier- général des professeurs, et se plaçant avec lui sur le terrain de l'histoire oit il pouvait sans présomption se croire le plus fort , il se mit à récapituler tous les arguments que les par- tisans de l'obéissance passive ont coutume de puiser dans les périodes les plus honteuses des annales de Rome et de Byzance ; mais quelle fut sa surprise de trouver, lui professeur presque émérite de l'Univer- sité impériale, un jeune antagoniste armé jusqu'aux dents et maniant ce genre de controverse avec tous les avantages que peut donner une mémoire fraî- chement enrichie par la lecture de tous les ouvrages historiques qui lui étaient tombés sous la main, et avec l'avantage additionnel d'une âme toute neuve et toute passionnée pour ses convictions ! Le résultat de cette longue entrevue fut une nouvelle victoire ajoutée à celle que nous avions remportée le matin, et un glorieux couronnement à ce que nous appe- lions entre nous une journée à jamais mémorable. On se demandera peut-être comment un chef d'établissement, qui devait connaître ses devoirs et CHAPITRE III. 79 ses droits, pouvait s'abaisser jusqu'à entrer en lice avec des enfants, au lieu de provoquer contre eux les mesures énergiques que les règlements univer- sitaires tiennent en réserve pour les cas extraordi- naires. Trois lignes de dénonciation adressées au recteur de l'académie auraient suffi pour mettre les plus mutins au ban de l'université, c'est-à-dire pour leur fermer à jamais l'entrée de tous les collèges de l'empire. Mais d'abord , pour l'exécution de cette sentence, notre principal répugnait à remplir l'office de bour- reau , soit parce qu'il n'avait pas cessé d'avoir pour nous des entrailles paternelles, soit parce qu'il craignait d'être éventuellement enveloppé dans une réaction politique; ensuite il ne faut pas oublier qu'en punissant un seul d'entre nous , on se mettait dans la nécessité de nous proscrire en masse, ce qui avait lé double inconvénient de changer le collège en solitude, et de nous jeter comme autant d'étin- celles brûlantes sur les matériaux combustibles dont le département était rempli. D'ailleurs , on pou- vait espérer que le bruit de nos explosions sédi- tieuses ne serait pas entendu par nos ennemis du dehors, et que la peur des baïonnettes nous rendrait raisonnables quand nous ne serions plus sous les yeux de nos maîtres. En effet, les choses se passèrent ainsi pendant plusieurs semaines : on fit semblant d'oublier la promesse ou plutôt la menace d'un congé; on ne 80 LA PETITE CHOUANNERIE. reparla plus de nous faire porter des aigles en guise de croix à nos boutonnières, et les tentatives de pro- sélytisme, jusque là si malheureuses, furent entiè- rement abandonnées. Cependant nous avions à cœur de prouver à nos maîtres que nos préoccupations politiques n'étaient pas un obstacle à l'accomplissement de nos de- voirs scolastiques , et que les grandes questions qui s'agitaient dans toute la France n'étaient pas telle- ment au-dessus de notre âge que nous n'en pus- sions trouver la solution dans nos livres aussi bien que dans nos consciences. Pour atteindre ce double but , nous remplissions les tâches qui nous étaient prescrites avec une ardeur de zèle qui semblait en demander de plus difficiles , et dans nos composi- tions en vers et en prose nous faisions entrer de gré ou de force , pour peu que le sujet s'y prêtât , l'ex- pression de nos sentiments intimes, qui, placés dans la bouche d'un personnage grec ou romain , sem- blaient revêtir une sanction de plus. Nous avions traduit assez de pages de Tite-Live , de Cicéron et de Tacite, pour ne pas manquer de déclamations contre le parjure et le despotisme, et l'on se figure- rait difficilement notre joie maligne et l'embarras de notre professeur, toutes les fois qu'un élève mar- quant était appelé à lire tout haut une dissertation ou un discours qu'on savait d'avance devoir pro- duire l'effet d'une décharge à bout portant. Les pages de Tacite , au lieu d'être pour nous une lettre CHAPITRE III. &| morte et de nous fournir tout simplement des es- sais de traduction, eurent. pour nous un sens pra- tique qu'elles n'avaient pas eu jusqu'alors. C'était comme si on nous avait appris à évoquer les ombres de tous ces défenseurs de la légitimité républicaine. Il ne manquait qu'une chose pour mettre le comble à notre enthousiasme pour Tacite , c'était de savoir que Napoléon avait une antipathie instinctive contre cet auteur, antipathie qu'il avait laissé percer dans une conversation fameuse avec Dureau-Delamalle. Mais à force de nous débattre ainsi contre les au- torités du dedans et du dehors, à force de puiser des arguments et des exemples dans l'antiquité clas- sique, nous nous étions imbus d'idées semi-répu- blicaines qui commencèrent à poindre un peu plus tard dans nos conciliabules, et qui, pour le mo- ment, nous furent d'un merveilleux secours pour l'intelligence de certaines phrases de Tacite dont nous n'avions pas compris la portée. Ne connaissant Napoléon que parle désespoir qu'il avait porté dans nos familles et par la fameuse brochure de Cha- teaubriand, nous appliquions rigoureusement à l'fanpereur, à ses ministres et à ses soldats, les stigmates dont Tacite a flétri la mémoire de Tibère, deSéjan et des gardes prétoriennes, queîs neque boni intellectus, neque mali cura, sed mereede aluntur, ministri sceleribus; car tous les exploits des armées françaises ne rachetaient pas à nos yeux le meurtre du duc d'Ënghien dans le fossé de Vin- II* PÀATIB. 6 84 LA PETITE CHOUANNERIE. publicains sincères, ceux qui voyaient dans l'événe- ment du 20 mars une dernière chance de régé- nération politique dans le sens de leurs vieilles illusions , ne manquaient pas de tolérance pour les opinions de leurs adversaires ; mais ils formaient un groupe presque imperceptible et par conséquent peu influent. Les vieux serviteurs de l'empire , chez la plupart desquels l'enthousiasme militaire absor- bait, pour ainsi dire, toutes les mauvaises passions politiques , comprenaient encore mieux la fidélité à une cause malheureuse; mais ils s'étaient associé des spéculateurs endurcis qui avaient trafiqué de toutes les révolutions depuis vingt-cinq ans, des instigateurs de mesures violentes contre les prêtres et leurs défenseurs , en un mot des notabilités révo- lutionnaires de tous les genres et de toutes les épo- ques , y compris celle de la terreur. C'était parmi ceux-là que se perpétuait de père en fils la triste phi- losophie du dernier siècle , sinon dans ses aperçus théoriques, au moins dans ses corollaires les plus grossiers. Us avaient ressenti comme une sorte d'outrage personnel le rétablissement du culte ca- tholique sous le consulat; que durent-ils éprouver à la vue des résultats immédiats de la première res- tauration dans un pays où le clergé, naguère dou- blement militant, sortait si radieux de ses vingt-cinq années d'épreuves? La vénération des peuples, quand elle a été longtemps comprimée, peut de* venir impétueuse comme une passion, et si elle CHAPITRE IV. 85 s'allie à un sentiment religieux , on aura bientôt fait de l'appeler fanatisme, pour rallier à soi toutes les haines niaises et, pour ainsi dire, flottantes qui ne savent pas où se fixer. Or, nous passions à juste titre pour les plus fanatiques de tous , et nous eûmes par conséquent notre bonne part de ces haines , quand elles restèrent à l'état latent en 4844, et quand elles firent explosion durant les Cent-Jours. On ressuscita les qualifications méprisantes qui avaient été inventées pour nos devanciers , et on y en ajouta de nouvelles: on nous appelait fils de bri- gands, calotins en herbe; mais, en général, on avait soin de ne lancer ces provocations que quand la disproportion des forces rendait les représailles à peu près impossibles. Ce que les plus lâches de ces provocateurs dési- raient par-dessus tout, c'était d'irriter contre nous les autorités locales et de leur faire adopter quelque mesure acerbe qui pût à la fois nous humilier et nous dompter. Quand ils furent instruits de ce qui s'était passé dans le collège le jour où le principal avait redemandé les croix pour y mettre des aigles, ils entrèrent dans une véritable fureur ; ils voulaient qu'on nous traitât comme des criminels de lèse-ma- jesté; ils demandaient le renvoi d'une centaine d'élèves et la destitution des maîtres suspects ; mais ils insistaient avant tout sur une espèce d'amende honorable comme réparation de l'insulte qui avait été faite à l'aigle impériale. 86 LA PETITE CHOUANNERIE. Cette dernière satisfaction ne leur fut pas refusée. Mais quand il fut question d'en régler le mode on se trouva bien embarrassé. Les plus haineux d'entre nos ennemis n'étaient pas encore assez aveuglés par leur haine pour oser espérer que nous nous incline- rions devant autre chose que devant Dieu , ou pour proposer qu'on attachât de force à nos poitrines le signe que nous avions si énergiquement répudié. Il fallut donc imaginer quelque expédient, qui, sans heurter trop rudement notre farouche susceptibi- lité, nous extorquât l'apparence d'un hommage au moins tacite à leur idole. Des ouvriers, armés d'une échelle et de leurs instruments de barbouillage, vinrent pendant la nuit peindre, à la hâte, au-dessus de la porte du collège, une aigle de dimensions tellement colos- sales qu'elle remplissait de l'envergure de ses ailes tout le panneau supérieur; et le lendemain, quand les écoliers, qui demeuraient tous en ville, ac- coururent à l'appel de la cloche matinale , le pre- mier objet qui frappa leurs regards fut l'oiséau- monstre, qui, de son aire réputée inaccessible, semblait planer sur eux et défier leurs outrages. L'emblème et le choix du lieu étaient trop signi- ficatifs pour permettre un moment de doute ou d'hésitation. La grande place et les fenêtres des maisons qui l'entouraient étaient remplies de spec- tateurs curieux de voir si nous passerions sous le joug de bonne ou de mauvaise grâce. 11 était clair CHAPITRE IV. 8% qu'on avait eu l'intention de nous donner en spec- tacle, et surtout de bien rire à nos dépens. Cependant des groupes d'écoliers se formaient sur plusieurs points et délibéraieut en breton sur le parti qu'il convenait de prendre, de sorte que le moi, d'ordre circula d'un bout à l'autre sans être compris par les bourgeois , qui restèrent tout ébahis de la rapidité de nos évolutions. Bientôt ceux-ci virent les plus alertes se détacher en cou- rant pour rappeler ceux de leurs camarades qui , arrivés Ws premiers sur les lieux, avaient brusque- ment fait volte-face en jurant qu'ils brûleraient leurs livres et retourneraient à la charrue plutôt que de passer sous ces nouvelles fourches, caudines. Â peine 066 derniers eurent-ils rejoint, qu'à un signal donné, on les vit tous s'accroupir à terre et former un vaste taWsau assez semblable à celui q,ù le Poussin a re- présenté les Juife ramassantla manne dans le désert* Heureusement il y avait eu da#s la nuit une pluie assez abondante, qui, Jointe au piétinement de quatre cents écoliers fort remuants , avait changé la place en une grande mare de boue. C'était cette boue fraîchement délayée qu'ils ramassaient à l'envi en poussant dés cris confus de joie et de vengeance ; les uns s'en chargeaient les deux mains, et lais- saient tomber à droite et à gauche leurs cahiers et leurs livres; les autres en mettaient des provisions dans leurs mouchoirs et jusque dans leurs poches. En moins de cinq minutes , l'aigle impériale se 88 LA PETITE CHOUANNERIE. trouva tellement criblée de cette nouvelle espèce de mitraille , qu'il était impossible de distinguer quel oiseau ou même quel animal on avait voulu repré- senter ; puis nous entrâmes dans nos classes respec- tives «n vrais triomphateurs , tout fiers de la saleté de nos habits et de nos mains , et trouvant que nous aussi nous pouvions nous vanter d'être Non indecoro pulvere sordidi. Mais la plupart de nos maîtres , peu jaloux de mourir en sénateurs romains sur leurs chaises cu- rules, avaient l'effroi dans l'âme et la pâleur sur le front 7 et nous nous apercevions de leur tremble- ment toutes les. fois qu'ils tournaient le feuillet de leur livre. Le moindre bruit qui arrivait jusqu'à nous du dehors leur coupait la parole et les faisait regarder avec frayeur du côté des fenêtres. Un mo- ment nous crûmes entendre battre le rappel, et il se fit un profond silence, un silence d'attente sérieuse pour nous, et d'indicible angoisse pour notre prin- cipal et pour ses collègues, dont l'un avoua naïve- ment plus tard qu'il avait cru toucher à sa dernière heure , et qu'il avait craint pour le collège à peu près toutes les horreurs qui se commettent ordinai- rement dans les villes prises d'assaut. Mais ils en furent quittes pour la peur, et non-seulement on ne songea pas à violer notre droit d'asile, mais on nous laissa défiler tranquillement sous cette même porte CHAPITRE IV. 09 que nous avions si bien barbouillée, sans qu'une seule provocation sortit du milieu de cette multi- tude béante qui contemplait notre œuvre et ne savait que penser de notre audace. Au reste, si notre petite vengeance resta impunie, ce ne fut pas faute d'instances et de clameurs de la part de ces hommes que j'ai signalés comme nos ennemis acharnés , et qui crurent avoir enfin trouvé l'occasion de satisfaire leur acharnement. D'abord il avait été question d'employer, s'il le fallait, la force des baïonnettes pour nous faire crier vive V Empereur, et si le général Rousseau, qui com- mandait les forces du département , n'avait pas con- tenu leur intolérance, cette journée aurait pu porter le deuil dans bien des familles et amener un peu plus tard d'épouvantables représailles. Tout ce que ces messieurs purent obtenir, ce fut qu'on enverrait sur les lieux une expédition moitié civile et moitié militaire , les uns armés d'épongés et d'eau chaude pour débarbouiller l'oiseau impérial et lui rendre à l'aide d'un vernis toute sa splendeur primitive, les autres armés de fusils et de baïonnettes pour re- pousser quiconque s'aviserait de troubler cette inté- ressante opération. Tout cela se fit bravement en plein jour,* un jeudi , pendant que nous courions les campagnes. Les ouvriers descendirent de leurs échelles aux applaudissements de quelques gamins qui s'étaient réunis sur la place. Un corps-de-garde composé de vingt hommes bien avertis fut établi 90 LA PETITE CHOUANNERIE. tout auprès, avec ordre d'avoir nuit et jour deux sen- tinelles en faction , une de chaque côté de la porte, : ptour empêcher, par tous les moyens possibles , 1». renouvellement des insultes dont cette image sacrée avait été L'objet. Après tant et de si fortes précautions, qu'on se figure la stupéfaction des soldats du poste, qui, pen- dant la nuit; avaient crié qui vive à tous les pas- sants , quand le lendemain matin ils aperçurent une large bande noire passée autour du cou de l'aigle r comme pour la pendre , et d'autres lignes irré- gulières tracées avec la même matière noirâtre dans toute l'étendue du panneau, de manière à faire comprendre, au premier coup d'œil, que l'arme do#t on s'était servi venait de la boutique d'un apothicaire. On appliqua bien vite une échelle pour faire cesser le scandale ; mais l'encre se trouva tellement indélébile qu'il fut impossible de l'enlever sans faire au pauvre oiseau des écorchures encore plus hideuses. Quant à nous, qui avions définitivement vaincu la béte, nous bondissions de joie, et nous trouvions presque mauvais que l'auteur inconnu de cet ex- ploit nocturne persistât à se dérober à notre reconr naissance. Tout ce que nous pûmes savoir alors, c'est qu'un petit jeune homme , qui avait un fort accent bas-breton , avait été arrêté tout près de la porte par une sentinelle qui avait appelé son caporal pour reconnaître; que celui-ci en le tàtant avait CHAPITRE IV. 9* cru d'abord saisir sur lui un gros pistolet d'arçon , mais que notre camarade, produisant son instru- ment avec le plus grand sang-froid, s'était donné pour un garçon apothicaire qui allait en toute hâte soulager de vives douleurs dans la maison voi» sine, et que la gravité militaire n'ayant pas tenu contre une méprise si amusante , on avait entendu des lazzis de corps de garde mêlés à de grands éclats de rire, à la faveur desquels notre vengeur avait braqué et déchargé sa seringue, dont le con- tenu était d'une couleur à ne pas trancher avec les noires ténèbres de la nuit. . Cependant on avait donné rendez-vous à tous les fédérés du département pour un banquet patrio- tique 7 auquel durent assister, fraternellement con- , fondus, les austères républicains, les loyaux servi- teurs de l'empire et les jacobins de l'ancienne et de la nouvelle génération. Pour la plupart de ces der- niers le banquet fut une véritable orgie, qui se ter* mina par des chants féroces et des vociférations sauvages , et au sortir de laquelle ils parcoururent les principales rues de la ville , semant l'effroi sur leur passage par des imprécations renouvelées d'une époque dont les habitants n'avaient pas encore perdu la mémoire. Des stations convenues d'avance, comme pour marquer les paroxismes d'une fureur intermittente , avaient lieu devant les maisons dé certains bourgeois plus particulièrement connus . pour leur dévouement à la sainte cause du malheur LA PETITE CHOUANNERIE. pendant les plus mauvais jours de la révolution. Immédiatement après cette fête soi-disant patrio- tique, vint la publication des nouvelles constitutions de l'empire, avec ce fameux acte additionnel qui dé- celait tant de misère dans son auteur. Le serment de haine éternelle aux Bourbons, imposé à tous les fonc- tionnaires publics, ne fut pourtant pas exigé des pro- fesseurs du collège, soit que leurs fonctions toutes pacifiques ne demandassent pas les mêmes garan- ties, soit que les autorités locales se fussent enten- dues avec eux pour éviter une scène qui nous àurait fourni un nouveau prétexte d'insubordination. Mais à défaut de cet affront, que nos ennemis ne réussirent pas à nous faire infliger, ils en imaginè- rent un autre non moins sanglant, ou plutôt ce fut le même affront qu'ils trouvèrent moyen de nous infliger par une autre voie. Ils. eurent assez de crédit auprès de certaines autorités subalternes, très-mal disposées contre nous , pour obtenir Tordre de faire afficher sur la porte même du collège un exemplaire de cette constitution impériale où Dieu était pris pour garant de la haine éternelle qu'on vouait aux Bourbons. Nous nous étions déjà demandé bien des fois ce que pouvait être ce Dieu qu'ils faisaient intervenir dans un pareil seraient , et comme nous savions assez de logique et de théologie pour com- prendre que ce ne pouvait pas être le Dieu des chré- tiens , nous en avions conclu que c'était probable- ment cet Etre -Suprême dont Robespierre avait CHAPITRE IY. 95 décrété l'existence ; et je puis dire que cette absur- dité nous avait inspiré beaucoup plus de mépris que de colère , jusqu'au jour où on plaça devant nos yeux , en toutes lettres , et pour ainsi dire à notre adresse, cet insolent article qui n'avait encore blessé que nos oreilles. La consigne étant trop bsutale pour des soldats, on avait mis deux douaniers en faction , un de cha- que côté de la porte, et leurs figures patibulaires disaient assez quelles instructions ils avaient reçues et combien on avait eu la main heureuse dans le choix des exécuteurs. Les premiers écoliers qui pas- sèrent devant eux se contentèrent de les toiser fière- ment de la tête aux pieds ; puis deux ou trois des plus intrépides s'avancèrent plus fièrement encore jusqu'à l'affiche , que le plus grand parcourut rapi- dement des yeux, et quand il fut arrivé à l'acte ad- ditionnel, il cracha dessus. Aussitôt l'un des faction- naires, croisant rapidement sa baïonnette, fit un mouvement pour la lui passer au travers du corps ; mais un bras d'enfant qui le poussa fit heureuse- ment dévier le coup, et l'arme allant s'enfoncer avec fracas dans la porte, effleura la hanche de l'impru- dent écolier, qui s'enfuit en laissant un pan de son habit pour toute dépouille à son assassin. Pendant ce temps-là, ses camarades s'étaient rués sur la maudite affiche, et après s'en être disputé les lam- beaux, ils venaient les étaler dans la cour comme des trophées et recevoir leur part des bruyantes féli- Cefderowrs, parnnei o i ii iq deiKefiitUi* . ferait m pem ph» tard écrite en Mires d'or an-dèssnsdet* porte do collège, où des emblèmes militaires, ingé- meommmA combinés, remplacèrent, après les Cent- kmr*, eetle aigle impériale que nous avions si fart CHAPITRE IY. 95 maltraitée. Un autre s'empara des belles paroles que Thraséas mourant adressait à Helvidius, et un troisième récita ces deux vers de Juvénal, en les accentuant 4e manièreà faire ressortir le justesse de l'application : Swnttnmi «wde nofiift mîmltm jmcferre pudori £1 propter vitan viveoéi perdere causas. Ainsi nous nous étions affranchis, avec non moins de Jbonheur que de courage y de la double honte qu'on avait voulu nous infliger. L'acte additionnel avait été conspué, puis déchiré; l'aigle, défigurée par nos outrages, semblait abandonnée à son triste sort, et les factionnaires, qui ne pouvaient plus y voir un palladium sacré, ne nous regardaient plus de si mauvais œil. Chaque jour de nouveaux ordres arrivaient du ministère de la guerre pour presser le départ des régiments qui composaient la garni- son , et à mesure que le département se dégarnissait de troupes , notre petit horizon politique semblait s'éclaireir un peu , et même nous commençâmes à croire que le parti de la tolérance avait définitive- ment prévalu, surtout quand nous sûmes que le gé- néral Rousseau avait défendu de renouveler toutes ces mesquines provocations qui, de toute manière, ne pouvaient que tourner à la honte des provoca- teurs. En effet, plusieurs jours se passèrent dans une espèce de trêve que tout annonçait devoir étire 96 LA PETITE CHOUANNERIE. durable; nos professeurs, fatigués de la longue vio- lence qu'ils s'étaient faite à eux-mêmes , égayaient leurs doctes leçons par des apostrophes individuelles pleines d'une familiarité enjouée ; notre principal lui-même, qui depuis un mois avait paru si soucieux et si accablé, commençait à se dérider le front et reprenait peu à peu son hilarité toute doctorale, quand un nouvel orage , plus terrible qu'aucun des précédents , vint inopinément fondre sur nos têtes , et nous jeter en désespérés dans une détermination violente dont nos ennemis , non plus que nos amis, ne nous auraient jamais crus capables. Au plus fort de notre trompeuse sécurité^ pen- dant que nous profitions de notre congé du jeudi pour courir les champs, trois de nos camarades rentraient en ville avec des rameaux fleuris au cha- peau , suivant notre coutume immémoriale à cha- que retour de printemps ; et les fleurs de ces rameaux étaient blanches parce que les prémices de la florai- son champêtre ne sont pas d'une autre couleur. L'on venait de passer la garnison en revue sur la grande place, et ce spectacle , alors doublement intéressant pour la bourgeoisie prévoyante, avait attiré une foule assez nombreuse qui déjà s'était écoulée en partie. Mais il y restait encore plusieurs groupes d'officiers et de soldats, auxquels se mêlaient quel- ques fédérés qui gesticulaient avec véhémence et avaient l'air de montrer du doigt le malencontreux oiseau, qui faisait une si triste figure au-dessus de CHAPITRE IV. 97 notre porte. Le même objet semblait enflammer le zèle patriotique d'un grand gamin à mine patibu- laire,. récemment chassé du collège pour vol, et sorti de la boutique paternelle pour venir se signaler ce jour-là sur cette même place où, un an plus tard, il devait subir devant nous l'ignominie du carcan, avant d'aller prendre sa place parmi les forçats du bagne de Brest. Parmi les bourgeois associés à nos études, nul n'avait professé si hautement, quand il pouvait le faire sans danger, son mépris hérédi- taire pour ses condisciples paysans, et, depuis son expulsion, la conscience de son ignominie avait changé ce sentiment en une sorte de rage. Ce jour- là il crut avoir enfin trouvé une occasion sûre de l'assouvir. Du plus loin qu'il eut aperçu les trois écoliers qui passaient innocemment avec leurs fleurs blanches, il se mit à crier : A bas les brigands l et à exciter ses nombreux acolytes à se jeter sur eux. Pendant que deux d'entre les écoliers battaient pré- cipitamment en retraite, l'intrépide Lemanach, resté seul au milieu d'une centaine d'agresseurs, en avait tout d'abord étendu trois ou quatre dans la pous- sière. Aucun n'osant, après un tel début, approcher pour le saisir corps à corps , on se mit à le pousser et à le frapper violemment, par derrière, et lui, cédant à cette impulsion et la renforçant par son propre élan , se fit jour à coups de poing à travers les groupes compactes que la curiosité ou l'hostilité avait formés devant lui. Il y avait près d'un quart II' PARTIE. 7 99 LA PETITE CHOUANNERIE. d'hêttré qu'il soutenait cette lutte si prodigieusement hrégaïe, sbns que tous ces bras réunis eussent pu l'ar- rêter ou le terrasser, et déjà il touchait à l'autre bout de la place, par où son évasion eût été facile, quand un piquet de gendarmerie, commandé par un offi- cier que le futur galérien était allé avertir, vint saisir par le collet notre champion tout haletant, et le conduisît, hué et escorté comme un malfaiteur, au éorps-de-garde de la mairie. À mesure que les écoliers rentraient en ville , ils étaient abordés dans la rue par des femmes du peuple qui leur racontaient, avec les exagérations de la bienveillance et de la peur, ce qui venait de se passer sur la grande place, en y ajoutant, les larmes aux yeux , leurs sinistres prévisions sur le sort ré- sêrvé à notre pauvre camarade. À les en croire, une commission militaire devait le juger dans la nuit, et dès le lendemain il serait fusillé sur la Garennè. Il y avait parmi nos ennemis des âmes assea forte- ment trempées pour ne pas reculer devant une pa- reille atrocité ; mais nous savions aussi que , dans té régiment qui composait la garnison, les juges et les bourreaux eussent été également introuvables , sans parler de notre confiance dans la loyauté connue du général Rousseau , ét nous regardions cette suppo- sition comme injurieuse à son caractère, ce qui ne nous empêchait pas de redouter pour Lemanach, avant son élargissement, des traitements brutaux et ignominieux. CHAPITRE IV. En effet, le bruit courut bientôt qti'il s'était passé quelqtié chose d'extraordinaire dans le corps-dè- garde ; tin avait entendu des jurements et des me- naces, puis un bruit sourd suivi de gémissemenlà qui semblaièrit échappés d'une poitrine humaine heurtée par quelque choc violent. Àîôrâ notre con- sternation lit place à une sorte de rage frénétique ; les ufis voulaient aller chercher du secours dans les campagnes voisines ; les autres proposaient de sè précipiter, aVèc de gros bâtons à la main , sur les bsflonnettês qui défendaient les abords de l'Hôtel-de- Vif le. Maîô que pouvaient les emportements de notre zèlè èontre les préèautions surabondantes qu'on avait prises contre nous? Des patrouilles circulaient dans toutes les rues; les soldats étaient soùs lès afrrtes dails la cour de la grande casèrne, tout prêts à sécôûrir riù besoïri le posté* qui gardait ïe prison- nier. D'ailleurs, notre principal nous assurait qu'on né Itti faisait àucùn mal : lui-même s'était glissé, à la faveur de sà petite taille et de ses cheveux blancs, dans un groupe de fédérés et de femmes élégantes : ditLemanach en recueillant ses forces, « vous pouvez m'achever si vous voulez ; » et à peine eut-il pro- noncé ces derniers-mots que sa voix déjà bien faible fut étouffée parle sang qui sortait de sa bouche avec abondance. Le gendarme ne fut pas adouci par ce spectacle; il continua ses cris et ses coups qu'on entendait distinctement du dehors et qui attirèrent dans le corps-de-garde Un bourgeois dont je tairai le nom par égard pour celui qui le porte aujourd'hui. Celui-là, plus raffiné dans son acharnement, se pen- cha sur Lemanach , qui ne résistait plus , afin de lui cracher de plus près au visage; puis il lui frappait les yeux et la bouche à coups de poing, comme l'au- rait pu faire un sauvage , et en même temps il criait si fort qu'il réveilla l'officier du poste qui s'était en- dormi dans une chambre au-dessus. La lâcheté de ces deux bourreaux officieux lui souleva le cœur d'indignation; ils avaient beau répéter que c'était un brigand , un séditieux, un rebelle pris en fla- grant délit] l'officier leur répliquait qu'il y avait des lois et des tribunaux pour le juger, que personne en 403 LA PETITE CHOJJAHKERIE. France n'avait le droit de mettre un accusé à la tor- ture pour lui extorquer une dénopciatioji pu un gveu, et que quiconque se chargeait d upe çi odieuse fonction était indigne de porter des épaulettçs. JSn ijième temps, il les écarta tous (Jeux d'un geste d'au- torité , puis il aida Jeur victime à se replaççjr s#r le lit 4ç cafiip , en attendant qu'on statuât provisoire- ment 8)jr son sort. Une heure après , l'or dre vint de Je transférer à I9 prison du Petit-Couvent, et de l'en- fermer sous les mêmes verroux que les malfaiteurs. Sji cette translation avait eu lieu en plein jour, nous aurions pu suivre notre camarade à la trace de son sang; car il le crachait à pleine bouche sur tQut le trajet qu'il eut à franchir, sans que pour cela son escorte fui montrât plus 7 pour donner le coup de grâce à un papvrç écolier sans défense; et ce fut du haut de la chaire chré- tienne, au prône de la grand'messç, qu'il le flétpt des qualifications les plus odieuses , ne doutant pas que le choix du jour et du lieu ne donnât à cette flé- trissure tout l'effet d'une excommunication. Le mal- heureux, vieillard était la, recevant chaque parole comme un coup de poignard au cœur. Voilà pour- quoi son fils, en arrivait le lendemain, le trouva si consterné, et voilà aussi pourquoi, en mettant le pied dans la paroisse, il avait vu tous les visages se renfrogner à son approche. Cependant trois jours de repos et d'épanchements réciproques commencèrent à leur donner l'espoir que la rage des persécuteurs et des dénonciateurs s'arrêterait là. Mais leur courte illusion fut détruite dès le lendemain par l'arrivée des gendarmes qui avaient ordre de faire comparaître Lemanach devant le maire de la commune. Ce|ui-ci, conformément à ses instructions, lui signifia qu'il eût à choisir entre trois partis : ou de retourner au collège de Vannes, à condition de crier vive V empereur au milieu de la pour, devant tous ses camarades , ou d'aller au lycée de Pontivy, à condition d'y faire une profes- sion de foi politique qui rendit sa réception possible , ou enfin d'être enrôlé comme soldat pour le service de Sa Majesté l'Empereur. « Eh bien, » répondit le jeune homme, qui retrouva dans ce moment toute sa première énergie, « puisqu'on ne me laisse pas d'al- 408 LA PETITE CHOUANNERIE. « ternative entre le déshonneur et la conscription mi- « litaire, je serai conscrit, mais je le serai à la ma- « nière de tant d'autres; dès ce moment vous pouvez « inscrire mon nom sur la liste des déserteurs. » En disant ces mots , il s'élança par une porte de der- rière et gagna la forêt voisine , avant que les gen- darmes,' beaucoup moins lestes que lui, eussent eu le temps de se mettre à sa poursuite. Dans l'état où il se trouvait alors, cette détermi- nation équivalait à un sacrifice volontaire de la vie , et si son aventure ne fut pas couronnée par ce dé- nouement tragique, il le dut non pas à la «révoca- tion des instructions barbares transmises par ses persécuteurs et les nôtres, mais à l'humanité des gendarmes, qui lui firent savoir sous main que s'il voulait rentrer sous le toit paternel et s'en absenter seulement un jour par semaine, ils auraient soin de faire ce jour-là la visite domiciliaire qui leur était commandée, et de prolonger cette connivence aussi longtemps qu'ellé serait jugée nécessaire pour le ré- tablissement de sa santé. Maintenant je reviens au collège de Vannes et à l'impression profonde qu'y avait produite la série d'actes brutaux accomplis dans le corps-de-garde , dans la prison et sous nos yeux. Pour que nos résolutions ne paraissent pas trop romanesques , il faut se souvenir que nous étions dans l'âge où les généreuses sympathies accaparent pour ainsi dire tout ce qu'il y a de chaleur dans CHAPITRE IY. 409 l'âme, avant que les mauvaises passions soient en- trées en concurrence avec elles. De plus il ne faut pas oublier qu'en dehors du collège nous formions une sorte de petite république qui avait ses lois et ses coutumes traditionnelles ; que l'autorité des pro- fesseurs, pleinement reconnue quand ils étaient en chaire, s'évanouissait comme une abstraction dès qu'As en étaient descendus ; que nos parents étaient trop éloignés pour exercer sur nous la moindre in- fluence, et trop sûrs de leurs enfants pour s'inquié- ter de l'usage qu'ils faisaient de leur indépendance. Ainsi abandonnés à nous-mêmes pour tout ce qui ne tenait pas immédiatement à l'ordre de nos études, nous étions privés de tous ces adages par lesquels la prudente vieillesse cherche à contenir l'impétuosité du jeune âge ; mais nous avions quelque chose qui nous allait mieux que les lumières de l'expérience, je veux dire la conscience des égards qui étaient dus au désintéressement de nos opinions, et une percep- tion très-vive du juste et de l'injuste. Un étranger qui se serait mêlé aux groupes d'éco- liers dans la soirée du jour où Lemanach eut à essuyer tant d'outrages et de mauvais traitements, serait resté ébahi de tout ce qu'il aurait vu et entendu : tous ces visages imberbes, pâles de colère encore plus que de consternation ; les paysans à longue chevelure, la re- pliant sous leurs chapeaux à larges bords, comme pour s'apprêter à une lutte; ceux qui avaient le cœur le plus gonflé d'indignation, s'épanchant à mi-voix Hà LA PETITE CHOUANNERIE. cfèvant ùh auditoire qui répondait par des gestes ex- pressifs et quelquefois par des larmes que leur arra- chait la rage autant que la pitié pour leur camarade ; et, pendant ce temps-là, les femmes du peuple, senti- nelles toujours vigilantes et dévouées, ayant l'œil à toutes les fenêtres qui s'ouvraient au-dessus de nos têtes, dans la crainte que quelqu'espion ne vînt re- cueillir nos paroles, qui, dans le fait, étaient hardies et compromettantes , car nous ne parlions de rien moins que d'une insurrection à main armée, et nous en parlions avec la pleine et ferme anticipa- tion des conséquences qui pourraient retomber sur nos tètes. Notre génération était trop rapprochée de celle qui avait foùrni les victimes immolées par la ré- volution, pour que l'idée d'une mort violente et prématurée , par la main d'un soldat ou par celle d'un bourreau, ne nous fût pas dès longtemps de- venue familière. Avec des âmes trempées et édifiées par de pareils souvenirs, avec des imaginations fraî- chement montées par une sorte d'assimilation ins- tinctive des écrivains de l'antiquité, quelle menace des hommes ou des lois eût été assez terrible pour nous faire subir avec résigaation l'outrage qu'on venait de ûous infliger à tous dans la personne de notre camarade? Sans être au courant dés lois de police ni du codé napoléonien, nous savions que ce n'était que par un monstrueux abus de pouvoir qu'on avait épuisé sur Lemanach tous les mauvais CHAPITRE IV. \\\ traitements qu'une vieille rancune jusqu'alors im- puissantè avait pu imaginer. Les plus bornés d'entre nous comprenaient fort bien qu'une enquête aurait dû précéder le châtiment, et que le témoignage d'un gendarme ne suppléait pas aux formalités or- dinaires. « De quoi donc, » s'écriait le plus mutin de ces petits orateurs, « de quoi ce gendarme pouvait-il « accuser son prisonnier? De s'être défendu seul « contre plus de cent agresseurs qui cherchaient à « l'épouvanter de leurs cris et à l'accabler de leur « nombre. Il n'avait pas vu autre chose ; les fleurs « blanches qui avaient servi de prétexte à l'agres- « sion, avaient disparu avant son intervention. Et « quelle preuve avait-on des intentions séditieuses « des trois écoliers qui avaient arboré cette inno- « cente décoration? N'était-ce pas une coutume im- « mémoriale parmi nos devanciers, et les commis- « saires de police en avaient ils jamais pris ombrage « avant 48J4? Fallait-il donc, pour leur plaire, sub- « stituer le pissenlit à la fleur du pommier et de « l'aubépine, et y aurait-il des familles proscrites «jusque dans le règne végétal? Dans ce cas, que « n'affichaient-ils leurs listes de proscriptions à notre « porte ! » Car enfin Lemanach et ses compagnons avaient si peu songé à la cocarde blanche qu'ils ne comprirent pas d'abord la rumeur excitée par leur présence, et quand ils l'eurent comprise, l'un d'eux, proposant de rétrograder vers les champs pour ne pds se compromettre: « Non, » dit Lemanach, « ces LA PETITE CHOUANNERIE. « polissons -là croiraient que nous avons peur « d'eux; » et ce fut ainsi qu'il alla donner tète bais- sée dans le piège. Les témoins oculaires ne manquaient pas pour affirmer toutes ces circonstances sous la foi du ser- ment, devant des juges, s'il y en avait eu, ou devant les autorités locales, si elles avaient été moins achar- nées. Malheureusement il ne se trouva pas, dans toute la ville, un seul bourgeois assez généreux pour protester en notre nom contre ce flagrant déni de justice, ni assez compatissant pour hasarder une tentative d'intervention dans le corps-de-garde ou dans la prison. Fallait-il donc nous résigner débon- nairement à de pareilles avanies, ou prendre sur nous-mêmes le redressement de nos griefs? Mais comment trouver parmi nous une tête assez forte et assez précoce pour mûrir un plan raisonnable de vengeance? En face d'ennemis aussi vigilants, aussi haineux et aussi bien organisés, lequel d'entre nous pouvait se flatter d'échapper longtemps aux brutali- tés dont notre camarade avait failli être la victime ? Qui les empêcherait de transformer en crime d'état une parole indiscrète, ou même un geste, et de faire passer Tun après l'autre, sous les verges de leurs lic- teurs et sous les verroux de leur geôle, les élèves les plus suspects, c'est-à-dire les plus intelligents et les plus énergiques? D'un autre côté, nous trouvions qu'il serait hon- teux d'abandonner la partie après ce qui venait de se CHAPITRE IV. 445 passer. On ne manquerait pas d'attribuer notre dé- termination à la peur, et noire dispersion rendrait impossible la seule vengeance qui nous fut douce , c'est-à-dire la vengeance collective. 11 fut donc résolu qu'à dater de ce jour, nous au- rions l'air d'être parfaitement résignés à notre sort, et que nous resterions au collège pendant deux ou trois semaines de plus, c'est-à-dire tout le temps né- cessaire à l'organisation de notre complot, lequel fut confié à un comité de trois ou quatre membres choi- sis parmi les élèves des classes supérieures. 8 CHAPITRE V. Wir wollen seyn ein einiig Volk yon Brildern , In Keiner Noth uns trennen und Gefahr. Wir wollen Lrauen auf den htfchsten Gott Und uns nicht fttrchten vor der Macht derMenschen. Nous jurons d'être un peuple de frères, de rester unis dans toutes les misères et tous les dangers. Nous voulons placer noire confiance en Dieu, et ne jamais trembler devant la puissance des hommes. La résolution d'en venir à une insurrection à main armée ne parut trop forte à aucun de nous ; fois pris , les plus ardents devinrent tout à coup Schiller, Guillaume-Tell. CftiNTRE T. 445 les plus calmes; les clameurs et le» provocations cessè- rent e0mme par enchantement. La discrétion fut inculquée comme un devoir sacré aux grands et aux petits , et observée par tous comme aurait pu l'être une consigne militaire par une légion de vétérans. Tant qu'il ne s'était agi que de controverse , la classe de philosophie avait joué le principal rôle. Maintenant ce fut le tour de la classe de rhétorique, qui, ayant sur l'autre l'avantage d'exploiter les chefs- d' œuvre d'une littérature toute républicaine, se fit remarquer par son esprit de jour en jour plus mutin. D'ailleurs elle occupait le poste réputé le plus dan- gereux, ayant pour professeur le principal lui-même; car toutes les fois qu'il recevait des ordres ou des me- naces de la préfecture , il commençait par les essayer sur les rbétoriciens qui étaient immédiatement sous sa mam , et leurs réponses étaient presque toujours fières et emphatiques , parce qu'ils savaient qu'elles seraient répétées le lendemain dans tout le collège. Cette classe eut en outre le monopole des profes- sions de foi politiques, et de toutes les devises et for- mules qui circulaient parmi les élèves. Elle leur tra- duisait les passages de Tacite qui exprimaient le mieux leurs serments et leurs passions, et si l'original était imparfaitement rendu , l'accent du traducteur fai- sait le reste. Elle mettait en circulation les tirades de Britannicus qu'on lui faisait apprendre par cœur, et quand il fut question de^fixer un minimum d'âge four notre insurrection, la t&ém* classe fournit tu?
nous • n'eu reparlerons plu&, n est-ce pas? Adieu , mon « jeune ami. Dorénavant nos leçons du matin n'au- « font plus beu : maintenant que je sais l'usage que « vous voules en faire , je serais coupable de les con- « tHMAsr. » Puis il s'éloigna précipitamment, et cette anfeevue fut la dernière qu'il» eurent ensemble. Quand le négoeiateur rendit compte de cette ton- citante mais infructueuse conversation, ses camarades trimirot à l'idée du danger qu'ils. avaient couru; car ife avaient ignetféjuM|ue4à que la non-révélation d'un tnmptot dirigé contre le gouvernement impérial était punie aussi sévèrement que la trahison , et que qui* limïpî recevait um confidences était par cela même exposé- à uiw condamnation capitale* Dès lors, noire «km» si non* persistai en faire un hors 4tt0S était évadé par -dessus les murs du séminaire, et à quelques heures de là ils venaient tous deux, plus tendrement unis que jamais, jurer avec nous de ne jamais pactiser avec l'usurpation, et de mourir, s'il le /allait, plutôt que cT aban- donner leurs camarades. Et leurs visages naturel- lement pâles le devinrent encore davantage quand ils prononcèrent cette formule, et leurs mains parurent trembler quand ils les posèrent ensemble sur l'Évan- gile ; mais c'étaient une pâleur et un tremblement auxquels la mélancolique fierté de leurs physiono- mies donnait leur véritable signification. Leur regard 440 LA PETITE CHOUANNERIE. avait quelque chose de triste et de fixe, comme s'ils avaient eu le pressentiment du sort commun qui les attendait. Après eux parurent , les derniers de tous , deux ou trois élèves des plus joyeux et des plus bruyants , dont nous eûmes bien de la peine à contenir la pétulance , et qui ne se possédaient plus de joie depuis qu'ils se voyaient enfin à la veille d'entrer en campagne. Pour eux la prestation du serment, même au milieu de cet imposant appareil, n'était pour ainsi dire qu'une fête préliminaire à laquelle ils venaient prendre part, beaucoup moins pour donner ou recevoir des garan- ties, que pour donner et recevoir des félicitations et des accolades fraternelles, et pour se faire répéter par le plus de voix possible que le grand jour était venu et qu'enfin c'était tout de bon qu'on allait commen- cer. Le plus ardent de cette petite bande était Le Tiec qui s'était acquis depuis peu une grande popularité dans le collège, dont il était le barde et le chansonnier. Dans nos danses , dans nos fêtes et dans nos prome- nades , c'était toujours lui qui jouait le rôle de cory- phée, et sa mémoire le servait si bien dans les circon- stances les plus imprévues , et il avait parfois l'air si inspiré , qu'il nous faisait l'effet d'un improvisateur. Nous ne concevions pas où il avait pu apprendre cette variété de chansons que sa mémoire lui fournissait à point nommé pour toutes les occasions ; et notre sur- prise fut encore plus grande , quand plus tard il égayait nos bivouacs et animait nos marches noc- CHAPITRE V. 444 tu mes, et surtout quand il entonnait ses hymnes de fidélité et de liberté sur le champ de bataille et jus- que sous le feu du canon ennemi, qui finit par lui être fatal. Certes, on ne put pas dire que notre Tyrtée eût, en prêtant son serment, le moindre pressentiment de son sort , car il y procéda sans recueillement et sans fa- çon, avec T impétueuse étourderie d'un enfant; et bien que cette impétuosité contrastât on ne peut davan- tage avec la résignation fière et concentrée de la plu- part de ses condisciples, il n'en était pas moins aussi, lui, un type très-reconnaissable de la race Bretonne , un type qu'on retrouve avec tous ces caractères dans certains cantons de la Basse-Bretagne, dans le pays de Guiscriff dont il était originaire et qu'il représentait à merveille par sa verve poétique, par sa passion pour léchant et pour la danse, et par la gaieté avec laquelle il affrontait les plus grands dangers. Enfin ce mercredi tant désiré arriva sans qu'une seule indiscrétion eût été commise, ou du moins sans qu'aucune indiscrétion eût amené de fâcheuses con- séquences. Depuis quarante -huit heures plus de trois cents élèves étaient dans le secret, et nous qui croyions fermement à la liste de proscription dressée par le préfet , et qui avions toujours cette épée de Da- moclès suspendue sur nos têtes, nous commencions à sentir que le pavé de Vannes nous brûlait les pieds. Âussi les meneurs prirent-ils la précaution de dé- coucher les deux ou trois dernières nuits ; puis ils 442 LA PETITE CHOUANNERIE. revenaient en ville de grand matin pour faire leur tournée définitive dans les chambrées et mettre à la raison les élèves en bas âge qui voulaient, bon [gré mal gré faire partie de l'expédition. On ne se figure pas toutes les scènes comiques et touchantes aux- quelles ce triage donna lieu : les, uns recouraient à des ruses grossières pour exhausser leur petite taille et faciliter le succès du mensonge par lequel ils dégui- saient leur âge; les autres, apostrophant le plus jeune des inspecteurs, lui demandaient, avec un accent de colère enfantine, s'ils n'étaient pas aussi capables que lui de supporter les fatigues d'une campagne. Les plus dociles se résignèrent en pleurant, mais il y en eut qui déclarèrent nettement leur résolution de partir malgré nous , et ils tinrent parole. Dès le point du jour, chacun fut sur pied pour achever ses préparatifs et assister à la première messe. Il fallait voir ces groupes de visages radieux, s ache- minant vers l'église , et lçurs attitudes de dévotion et de recueillement dans le sanctuaire; il fallait voir l'air insouciant et dégagé dont nous nous promenions sur la grande place devant les soldats çt les bourgeois , à la barbe desquels nous chantions des versets de psaumes appropriés à la circonstance. L'un chantait à tue-tête : Lœtatus sum in his, quœ dicta sunt mihi; un autre récitait à haute voix le commencement du psaume 445 : Benedictus Dominus Deus meus, qui docet manus meas ad prœlium, et digitos meos ad bellurn. Notre barde Le Tiec trouvait plus plaisant CHAPITRE V. 445 de puiser dans le répertoire de nos ennemis, qui fu- rent tout ébahis de lui entendre entonner ce jour-là pour la première fois les deux premiers vers de la Marseillaise : Allons, enfants de la patrie, Le jour de gloire est arrivé. Plusieurs élèves de rhétorique, au lieu de travailler à la composition du jour , rédigèrent contre leur pro- fesseur des philippiques pleines de fiel, qu'ils eurent Timprudence de lui remettre en .mains propres, au risque de compromettre au dernier moment le succès d'un complot si péniblement tramé. Les plus modérés en apparence, mais les plus sévè- res au fond, furent ceux qui se contentèrent de tran- scrire une simple phrase de Tacite , comme celle qui résume le jugement de l'orateur Passienus sur Cali- gula : Neque meliorem unquam servum^ neque dé- tériorent dominum fuisse (4). Le plus impitoyable de tous fut celui qui, après avoir copié tout au long un malencontreux poëme composé par notre principal en 4795 pour une certaine féte républicaine, y joi- gnit cette foudroyante citation tirée du discours de Vocula aux légions Romaines révoltées : Transfuges è transfugùj et proditores è proditoribus , inter re- cens et vêtus sacramentum invisi deis errabitis (2), (1) Ann., VI, 20. (2) Hist., IV, 58. 444 LA PETITE CHOUANNERIE. C'étaient autant de coups de poignard dirigés contre le cœur du pauvre homme qui avait expié cet égare- ment d'un jour par vingt années d'une vie exem- plairement chrétienne, sans parler des droits que ses longs services auraient dû lui assurer sur des esprits moins prévenus que les nôtres. Mais notre intolérante aversion pour les tergiversations politiques fermait tout accès dans nos âmes au remords et à la pitié. CHAPITRE VI. LA MÈRE BRETONNE. ÉPISODE. Yicit lier durum pietas. Virgile. Entre tous les engagements que nous avions pris les uns vis-à-vis des autres , le plus sacré sans con- tredit était celui de ne faire part du complot à per- sonne, pas même à nos parents, et le jour du départ arriva sans qu'un seul des conspirateurs eût manqué 10 446 LA PETITE CHOUANNERIE. à sa parole. Mais ce jour-là , il y en eut un qui crut pouvoir sans inconvénient déposer son secret avec son dernier adieu dans le sein maternel. Il s'y prenait assez tard pour être sûr qu'on ne chercherait même pas à ébranler sa résolution. Et puis il avait une mère en qui le caractère était aussi fort que le cœur. Elle avait puisé cette force dans une série d'épreuves qui avaient commencé pour ainsi dire avec son enfance ; car, du jour où la persécution éclata contre les prêtres , il fallut s'associer à leurs périls pour apprendre son catéchisme et faire sa première communion. Puis, avec le progrès de la terreur, il y eut à chaque nouveau sacrement un nouveau danger de mort; et les mères de famille les bravaient l'un après l'autre , et quand il n'y avait plus de prêtres dans les villes , elles envoyaient leurs enfants faire leur apprentissage de chrétiens dans les campagnes. Aux approches de k lèt* de la Pentecôte, qui depuis longtemps ne se célébrait plus dans les églises, une pieuse femme de l'Ile-d'Arz, qui demeurait alors au Port-Louis, fit conduire la plus jeune de ses filles au bourg d'Er-Deven , chez une parente dont la maison servait souvent aux cérémonies clandestines du culte persécuté. On appelait cela donner 1'hospi- taliié au bon Dieu; on séjournait là comme dans uo sanctuaire , et l'enfance y devenait sérieuse et forte comme l'âge mûr. La pauvre jeune Jille y prolongea son séjour au? CHAPITRE VI. 44? éëlà eveti, prit l'aspect d'un camp et devint bientôt im ehamp de bataille. Mais auparavant, les répu*- blicains balayèrent, pillèrent et brûlèrent les viHages d'alentour où il n'y avait plus que des femmes et des -enfants avec quelques vieillards décrépits, et tout cela •courut pêle-mêle chercher un asile dans l'intérieur des lignes que les émigrés et les chouans avaient éle- vées à l'entrée de la péninsule. Mais le jour où ces lignes furetat forcées par 1e -général Hoche , l'épouvante de cette multitude sané iJéfense doubla le désordre parmi les vaincus, ©es " femmes et des enfants furent foulés par les Chevaux 4tt airffequés dans FétroH passage qui donnait entrée dans 4a presqu'île. Ce fut là que la jeune fille dôiit jè raconte la triste histoire perdit sa tante à qui elle t'était vainement accrochée. Pas une âme ne fut ésnne de pitié pour elle à la vue de sa jeunesse et de sa beauté. Elle courait .en aveugle sans savoir où , «t sa «ourse ne changeait de direction que quand elle wjrôt «en cfoemtn obstrué par des cadavres, dette *ee im faisait pfos de peur que le sifflement des tarifes à «es oreilles. EHe passa devant les grenadiers 4'guiabcrtffiri avaient déjà mis leurs fusils en joue , «rt qui «e tirèrent que quand eHe eut dépassé leur tant. Stle vit alors tout le monde qui fuyait vere 4a AAS LA PETITE CHOUANNERIE. nier doublement terrible à voir dans ce moment-là ; car, outre qu'elle était agitée par la tempête , on apercevait à sa surface houleuse des malheureux qui criaient vainement au secours, des barques qui som- braient sous leur charge , d'autres assaillies par des nageurs auxquels on coupait les poignets à coups de sabre pour les forcer à lâcher prise. Ce spectacle fit à la pauvre fille encore plus d'hor- reur que les cadavres. Elle s'agenouilla un instant sur la grève, fit une courte prière à Dieu pour demander la contrition avant de mourir, et alla se placer à Tentrée d'une espèce de hangar où s'était réfugié tout ce qui était trop faible ou trop vieux pour se sauver. Maintenant que son sacrifice était fait , elle put prier sans distraction; mais la contrition ne venait pas à son gré. Cependant les décharges des bleus annonçaient leur approche; encore quelques minutes , et elle aurait à comparaître devant son juge ! Pour se donner quelques chances de plus, elle perce la foule, marche sur les uns, saute lestement par-dessus les autres, et, h genoux dans un coin , la tète contre le mur pour ne pas voir le massacre qui finira par elle, elle demande avec un redoublement de ferveur la grâce qui doit couronner toutes les autres. Bientôt les républicains se précipitèrent avec des jurements et des menaces , brandissant leurs sabres nus et se faisant livrer argent et bijoux. Quand ce fut le tour de la pauvre fille de l'Ile-d'Arz, qui se croyait toujours à l'article de la mort, ils lui arra- CHAPITRE VI. 449 citèrent brutalement son chapelet qu'elle tenait forte- ment serré dans ses mains jointes, et la croix d'argent qu elle portait suspendue à son cou. Un soldat ivre, qui vint après les premiers spoliateurs , fut si cour- roucé de trouver tout le butin enlevé , qu'il tira son sabre pour se dédommager par un meurtre ; et déjà il avait courbé sous son rude poignet la téte de sa victime, quand un officier, accouru en toute hâte pour prévenir ou arrêter le massacre , arriva juste à temps pour la sauver. Un seul fait suffira pour donner une idée de l'impression que cette terrible journée avait produite sur elle , et de l'altération qu'avaient subie ses traits , c'est que sa mère , en la revoyant , ne la reconnut pas d'abord. Et cependant cette épreuve n'était rien en com- paraison de celles qui suivirent. Elle se maria , bien jeune encore , au fils d'une des victimes massacrées au Champ des Martyrs , après la capitulation de Quiberon. C'était en 4796, au moment où Georges Cadoudal faisait promulguer la terrible loi qui dé- fendait le mariage à la jeunesse bretonne , appelée , selon lui , à d'autres devoirs plus pressants et plus sacrés que celui-là. Et ses plus farouches émissaires disaient en passant par les villages qu'une bonne cartouche était le cadeau de noces réservé à chaque nouveau marié. Aucun de ces propos n'était parvenu aux oreilles de la pauvre fille ni à celles de sa mère , de sorte que le mariage fut conclu comme tous les mariages de ce temps-là , c'est-à-dire sous les. plus >tôO LA PETITE GHOUAN^ERIE. funèbres auspices. Les deux époux durent exposer ta vie du prêtre et risquer leur propre liberté pou? obtenir clandestinement et de nuit la bénédiction nuptiale , bénédiction; qui fut suivie de calamités si affreuses, que des âme&moins pures et moins résignées auraient pu la prendre pour une malédiction. Un dernier appel fut fait à tous les Bretons qui étaient en état de porter les armes , et cet appel était conçu en termes très-menaçants pour ceux qui, ayant bravé le formidable pouvoir du général en chef , ne profiteraient pas de cette occasion pour se faire par- donner leur premier tort. Ce n'était pas avec Georges Cadoudal qu'on pouvait se jouer impunément d'une défense ou d'une menace. Aussi beaucoup d'hommes* récemment mariés accoururent sous ses drapeaux , et lui prouvèrent que les douceurs ée la vie conju- gale n'avaient pas amolli leur courage. Mais- ils Aperçurent bientôt qu'ils avaient donné aux répu- blieain& une trop forte prise sur eux ; car les femmes qui ne dénonçaient pas leurs maris avaient à subir . des tortures qui faisaient parfois défaillir la résolu*-* tioft des plus fermes. Si l'épouse se montrait in- flexible, on attaquait la mère , dans l'espoir qu'une dénonciation échapperait de sa bouche avec le cri de la nature. Ge fut ainsi que les autorités révolution- naires s'y prirent pour épouvanter la pauvre femme dont je raconte ici les malheurs. On lui demanda si son mari était alié joindre les chouans 7 elle refusa de répondre, Une seconde, une troisième somnaatioa C&ÀPITRE VI. 4ë4 Payant pa* produit plus d'effet , les* gendarmes dé- gainèrent, tara» sabres avec fracas et en appuyèrent alternativement la pointe sur l'enfant qu'elle portait dam ses bras et sur celui qu'elle portait dans sod sein. Sou aagome , que les mères seules compren- dront , lui coupa la respiration et la parole. Sa maison fut mise au pillage, et elle fut laissée par ses persécuteurs dans le plus affreux dénument. Le malheureux, que la république atteignait ainsi dans ce qu'il avait de plus cher, se sentit le cœur brisé quand il apprit tous ces détails ; et au lieu de tourner ses pensées du côté de la vengeance par la victoire , il eut la faiblesse d'aller aggraver par sa présence les tourments dont son absence avait été la première cause. U vint pou? consoler sa compagne , et il la désespéra ; car son arrêt de mort était pro- noncé d'avance , et la remise en vigueur des lois révolutionnaires ne lui laissait aucun espoir, s'il était découvert. D'un autre eoté, sa désertion avait été dénoncée à son chef de division Vincent Hervé, impi- toyable exécuteur du code militaire de Cadoudal ; et des chouans qui connaissaient le déserteur et son asile présumé , furent envoyés à sa poursuite , mec ordre de le fusiller sur le lieu même. Pressé entre ces deux sentences capitales, le pauvre proscrit, sentant que le sol tremblait partout sous ses pas, tourna les yeux vers un élément tout nouveau pour lui , et se fit inscrire sur le raie d 1 équipage d'un navire morbihaanais , qui appareillai* pour la 452 LÀ PETITE CHOUANNERIE. Manche. Bien que cet embarquement fut une déli- vrance , les adieux furent tristes de part et d'autre , mais surtout de la part de celle qui restait avec deux enfants à peu près orphelins , et avec les noirs pressentiments que mettait dans son cerveau déjà malade le souvenir de son père englouti douze ans auparavant , par une sombre nuit de février , dans cette même mer sur laquelle son mari allait main- tenant s'aventurer. À peine fut-il parti que la pacification définitive eut lieu , et les semaines et les mois s'écoulèrent sans que la malheureuse femme reçût aucune nou- velle. Enfin le navire qui portait son consolateur et son appui fut signalé à la pointe de l'Ile aux Moines , voguant à pleines voiles , avec son pa- villon tricolore , qui n'eût pas été arboré si l'équi- page n'avait pas été au complet. Cette joyeuse an- nonce ayant dissipé toutes les craintes , la femme du chouan amnistié court avec les autres vers le ri- vage , et , dans l'exubérance de sa joie , elle ne remarqua pas que les figures des matelots étaient sinistres ; ses yeux ne cherchaient qu'un seul objet et ne le trouvaient pas. Quand elle fut montée à bord, ce qui s'offrit d'abord à elle fut une forme d'homme presque courbée en deux, et appuyée contre le mât du milieu ; deux béquilles neuves étaient à côté de lui , et une sale couverture toute trempée d'eau de mer l'enveloppait de la tête aux pieds. Une figure pâle et maigre, que la souffrance CHAPITRE VI. 485 avait rendue méconnaissable , se dégagea lentement de dessous cette espèce de linceul. La voix fut ce qu'elle reconnut d'abord ; elle jeta un cri et tomba évanouie sur le pont. Quand elle eut repris connaissance, on lui donna la douloureuse explication du spectacle déchirant qu'elle avait sous les yeux. À peine arrivé dans la Manche, le navire avait été assailli par une si violente tempête , que par moments les voiles se confon- daient avec l'écume des vagues; il fallut les amener. Une seule restait à la grande hune , et les cordages s'étaient entortillés aux vergues. L'équipage ne pou- vait être sauvé que par un grand acte de dévoue- ment. Pas un matelot ne voulut monter au mât. Le pauvre chouan , malgré son inexpérience ou à cause de son inexpérience , se dévoua ; il arriva jus- qu'à la hauteur indiquée, coupa la corde, et, pour descendre plus sûrement et plus vite, se laissa glisser; mais ses mains écorchées et brûlantes ayant lâché prise , il tomba de très-haut sur les ferrures du pont , et fut relevé avec tous ses membres broyés par la chute. Le lendemain, on avait re- lâché à Cherbourg , pour le déposer dans l'hospice de cette ville, en lui promettant de le reprendre au retour; car il tenait à mourir au milieu des siens. Grâces aux soins tout fraternels qui lui avaient été prodigués par un soldat républicain en qui il avait trouvé un garde-malade et un consolateur, il s'était assez bien remis pour supporter la traversée jus- 4&4 LA PETITE 6H-6CArftNERIE. qu'au Morbihan. Le conire-coup des vague» en se- couant violemment son hamac , lui avait fait épro»* ver parfois des douleurs atroces; mais il lui nrmhfwÉ que la vue du clocher de son île les avait calmée». La mort ne tarda pas à l'en délivrer tout à fait ; mais , avant de fermer les yeux , il eut le loisir éê mesurer la profondeur de l'abîme de misère ot» s» famille allait être plongée ; car la pais récemment conclue ne restituait rien à ceux qui avaient été ruinés par les confiscations révolutionnaires. Alors commencèrent les épreuves du veuvage ef les indicibles angoisses de la maternité. La terre et la mer avaient été si- fatales à k pauvre femme , qu elle ne pot plus se fier à aucun de ees deu&élé* mens ; elle plaça désormais toute sa confiance deno le ciel , et elle lui adressa le» plus ferventes prîètfes» pour obtenir que son fils fut appelé m ministère dm> autels. Bientôt arriva L'Empire avec sa conscription* annuelle qui dévorait généra lia* aprè» génération i et contre laquelle il ny avait qu'un se ai refuge r l'Église ; et bien que cette ÉgKse pàé redevenir d'us* jour à T autre tragiquement militante , 1» pauvre mère n'en persévérait pas moins dans son vertu» Mais , pour qu'il fèè il fallait qu'elfe entouràè son enfant des préeautione les phis minutieuses, efe qu'au milieu de cette population énergique , tnr~ bulente et passioonée pour te mer, elle ne laissâ* arriver à son imagination et à son cœur que de» impression» anafogue» * k' objet qu'elle avait en vae* CHAPITRE Vk 455 Pour cela > elle faisait raconter à des marias blan^ chis dans les prisons ou dans le dur métier du ca- botage , tous les genres de privations et de souffrances qu ils avaient endurés , et elle ajoutait ensuite à leur récit ses? propres commentaires qui roulaient le plus souvent sur le donger auquel étaient exposées des âmes si peu préparées à» comparaître devant leur juge. Mais de quel poids pouvaient être dans l'es- prit d'uft enfant des considérations tirées d'un ordre d'idées qa* souvent dépassent la portée de l'âge mûr 1 et, quant à h peinture des dangers et des cata- strophes de la vie maritime, loin d'inspirer un ef- froi-salutaire, elle montait la tète au petit auditeur; ear pour F enfance placée dans des conditions fa vo- rables a** développement de ses meilleurs instincts , ca qp'iiy a de plu» aventureux est aussi ce qu'il y ftde pkiebeau. Voila donc l'enfant ée 1» pauvre veuve , qui , à fi**** é' entendre parler de» productions rare» et merveilleuses des pays? lointains , se résout * faire, avec soft frère eaeore plus jmiœ ejue lui , un voyage d* k>a$ cours , et pour cela , il» se mettent très-sé- râupaiac atà déblayer et à radouber un vieux bateau pourri qp'une tempête éq*ûnosiale avait jeté bien avant suri* grève. L'oeuvre fut poursuivie avec une patience et une discrétion incroyables» Comme file, toujours battue par les vent» .ài ouest , est entièrement dénuée d'arbres , les gouttières en bambou furent atrraehées du tait de 1» maison materneMo par es- 456 LA PETITE CHOUANNERIE. calade nocturne, et mises en réserve pour servir de mâts et de vergues ; des draps , soustraits tout aussi frauduleusement , furent changés en voiles; des provisions de bouche furent cachées en lieu sur , en attendant le jour du départ , et quand la grande marée de la pleine lune eut enfin fait flotter la ché- tive embarcation qui avait coûté tant de sueurs et de veilles , sans compter les vols et les mensonges , les deux petits argonautes s'y lancèrent pleins d'or- gueil et de confiance. Mais à peine eurent-ils hissé leur misaine , que le bateau , radoubé par eux par une méthode toute nouvelle , commença à faire eau de toutes parts , sans que leurs quatre bras , bien qu'activement employés , pussent l'empêcher de couler à fond. Heureusement un brave marin qui avait observé de loin leur manœuvre et leur danger, accourut à temps pour les sauver. On se figure sans peine toutes les terreurs qui frappèrent et qui durent obséder longtemps après l'imagination maternelle. 11 y avait dans la paroisse un prêtre revenu d'Es- pagne , homme de Dieu et du pauvre , et ne se lassant jamais d'ouvrir son cœur et sa main aux souffrances de ses ouailles ; compatissant par nature, lors même qu'il n'eût pas été charitable par devoir, il lui arriva souvent de trouver, à l'heure de son repas , sa bourse ét son buffet vides , par suite des aumônes de la veille. Après avoir été le consolateur de la mère dans toutes ses peines , il se fit l'explo- rateur et le régulateur de la vocation du fils et se CHAPITRE VI. 457 Tattacha par un lien dont la force et la douceur ne peuvent être comprises que par ceux qui ont respiré de près le parfum de nos sanctuaires, ou qui se sont bien pénétrés des exquises beautés du poëme de M. Brizeux. 11 l'éleva à la dignité d'en- fant de chœur, qui était depuis longtemps lob- jet de sa petite ambition , et le nouveau dignitaire se passionna tellement pour les fonctions de sa charge, que non content de les remplir au maître- autel de F église paroissiale, il avait en outre sa cha- pelle particulière où il répétait toutes les cérémonies du culte, non pas pour mieux apprendre son rôle, mais pour prolonger des jouissances qui finissaient trop tôt à son gré. Messes, sermons, baptêmes, en- terrements, mariages, rien n'était exclu de sa liturgie enfantine. Tout en réprimant ses innocentes profa- nations , la mère était dans la joie de son àme. Aux approches de la Fête-Dieu, elle lui préparait un beau surplis en toile fine , et allait avec lui dans les jar- dins et dans les champs effeuiller les coquelicots et les roses, qu'elle lui apprenait à jeter avec une grâce res- pectueuse devant les reposoirs du Saint-Sacrement. Bientôt il n'y eut plus qu'une voix dans le pays sur la vocation du petit lévite , et la crédule mère, qui regardait déjà son vœu comme exaucé, finit par accepter toutes les félicitations qui lui étaient adres- sées à ce sujet. Le saint prêtre , dont ce change- ment était l'ouvrage , en fut presque aussi heureux qu elle. Pour ne pas laisser à de si bonnes dispo- T Dm ©c? joot$ me#oé powr loi dès S^Wl adc^ CSC6UCe • Cette précoché fet «lise hors de doute par une ma- lencontoense lettre qui , malheureusement pour lui , n'avait jamais été réalise à son adresse, et qu'un mes- sager ignorant ou infidèle avait affichée sur son cerf- vetant , où les filles et les garçons du village «n avaient pris lecture tout à leur aise. À dater de ce jour, chaque année qui s'écoulait ajouta aux angoisses de la mère , dont l'imagination anticipait de loin sur F arrêt de mort qui, sous forme de conscription militaire ou maritime , attendait son fils -au jour fatal. Vers la fin de FEmpire , la crise devînt de plus en plus douloureuse. Puis tout à coup les nuages qui assombrissaient les imaginations se dissipèrent , et une joie presque délirante éclata dans tous les hameaux de la Bretagne , mais nulle part plus que dans les Hes du Morbihan , qui avaient un bon tiers de leur population môle enfermé dans tes prisons d'Angleterre. Plus il y avait eu de boriheur en avril \ %\ 4 , plus H y eut de consternation en mars 4845. C'était toujours -eette conscription qui apparaissait comme un fantôme ou plutôt comme un vampire à qui il fallait toujours du sang. Cependant on osait espérer que la Providence ne laisserait pas è l'usurpateur le temps d'en verser beaucoup , et les parents dont les fils avaient encore plusieurs années devant eux avant d'atteindre l'âge voulu, n'étaient pas trop tourmentés 5 de l'enfantement poétique , exprimer totrte sa sym- pathie dans l'admirable pièce de vefirs èftïVm va lire , et dont je regrétte de ne pas pouvoir bffrir la tra- duction à mes lecteurs français. THË BRETON MOTHER. It was a Breton Mother Lertrg Ivtdowed and alone From foer brow the look (rf gladness From her lips the smfffe was çone ; LA PETITE CHOUANNERIE. But the light of Beauty lingered Despite the trace of tears , For her gentle cheek was faded With sorrow more than years. Her anxious gaze was resting On a proud and stately boy With a mingled sweet expression Half mournfulness, half joy; The fFidoWs look, confessing, Though sharp life, trial-pains, Âll is nôt Désolation While Mother-hood remains ! Fair was the face she gazed on, Not only unto her, ( For love' s bright wand of magie Can unreal gifts confer) But even to the stranger À mien more bright and bold Ne'er struck the dull and careless Or warmed and won the cold. Courage and thought were blended On his forehead proud and fair Around it careless waving CHAPITRE VI. The locks of raven hair ; While from his brow's dark shadow The light ôf those young eyes Gleamed like a lake whose waters Reflect the midnight skies. Still gazed they on each other That Mother and her son , In his look that resolution Which spoke of childhood gone; But silence was between them The silence of a spell ; Àlas , she dared not question, She knew her fate too well : And he... how should he comfort That fond foreboding heart? How soften that sharp sentence Yet warn her they must part? Not long the silence lasted , But thought is lightening quick, And while he stood, yet pausing, Her blinding tears grew thick, And her youth went by before her Like a vision seen in sleep Each dark event renewing LA PETLTE CJBLO U AJSJN E R I E. Which taught be» first to weep. When, like a hunted fawn, She fled for unfouad refuge O'er blood-stained path and lawn, None knowing ia t\xeiv troutk Where best tp turn? and flees, From the stpjHXi o£ man'& dm^ pgf sj^ns To the buge tempestuous sea Or from thèse Oceanr terrors To the trembling croupbin& de#th, When the sharp sword g^aming brightly Suspends tt$ sujEf^r'a breatti> She sees herself , pepr Faint with a mortaj fe$r ; The Slayer's han4 is on be# The Slayer's knife is near ; Saved at thç ^wfiul moment, Wheii^ weak and deadjy pale She felt the hoge tjiat lingered Of earthly spccour , fail , : And kpelt with deep dévotion God's pardon tp implore, Already half anan^eL Her wild an tha blaat,. Like the dull and ibariul silence- Whea that ho«r of carnage p&at, So still, and dim, aadrawful, Is the pause within her souJ, As the days her beaft reeaLLetb» TIW the glass of Maoaory jroli^ Till a break of siuumer sunshioe GiicU her starange eveutfui Ufe, And the orplian, tried by sorrow, Is a young, and blooming Wife. Oh ! soft the geotle heure Are passing^ day by day, Like the tide of some calm river Flowing ouward and away ; For her hearihalh fouixd.naw pleawe Whose touch çan nevep clay ; Bright children gather totuul.hiir Young buda o£ hopeand joj*,. Her husband's kindvoice blesses, Eacb treasure she hatà hrougjbi, And her smite Uatb gcWr te. dww him LA PETITE CHOUANNERIE. In the hours of anxious thought : For Peace was there ! Bright spirit I Whose dove-like folded wings, Will rest, for some chance hour, By Life's redundant springs ; But whom no man hath tempted To linger long below, À dweller and abider In scènes of toil and woe. The first wild wave that riseth Âgainst its pliant breast Those beauteous wings outspreading Peace seeks her home of rest, Far off, where none may follow, Through the blue vault of the sky, Lost to our hearts, but ever Remembered with a sigh ! But mark, what change hath clouded The woman's wandering dream? The face whose smile was sunshine Ail pale and wan doth seem ; And he she loved, appeareth, A shadow and a wreck, Bruised, wasted, faint, and dying, On the vessel's fatal deck ! CHAPITRE TI. f$9 And gloomily and sadly His comrades gather round, And hear, but dare not answer, The landward cheer resound, Because they know that Doomed on* From Port nô more shall roam, But the Widow and the Orphan Must speak his welcome home. Oh sight of fear I Oh moment Of anguish and of pain I With what intense distinctness Dost thou return again ! How yet, those drooping eyelids Long shrouded in the grave Gast their dim look of greeting Àcross the sullen wave : How every day is counted Through ail that lingering year Of weary suffering tended In sorrow and in fear The faint and gentle pressure Of his cold relaxing hand And the kiss so light and mournful On her smooth hair's shining band The first sad kiss that ever LA PETIXJS CJUHIAiiiXERIE. It chilled ber tp racçiw, Because th$ sbe daukted It taughlh^ tQ,beUfive ! And words, skx feeW$ apokei* Xlmt Qttly Ix^e gqvUL teU Which were* tjte tûj*€& qC coaA)^ And whick oi fond fora/vett, Return like eoboes, saundiog Through the hollow waste of years To prove, tUpugLyouth be vaokhed , How fresh the fowjt ofttears! Yet theirs is hfcgçed sotwew Who thm may watek aiaci tend Nor yield t)& dying how To son^W^ie^atfiîiencl; To doubt when,." ajl i& wes, 4 ' How much thaksad o#. The strangef c&^veiQâU.^ But still recur, sJiJU' wsepiag To that QQAâ^hUte^paât, Unwearied by f repeating The fet W>|d, md the last, The re^Uess heaut ^till doubting Lest colder Uwe fo*g#* C H AIH^ HE V*. Soine tone, wkieb, ta4 we b$flr4 W wJ4, haual mi çewfart y*t ; Sktfre woffd.left uiureçQrded, Som$ look mmoticoi tjutn - % When looks wdwords are leaviog, When Tecrqr ^aiaty Ust$o& To tfee çbokgd qud struggliag broath And helplQss.IUoughtc«aîaineth 7 Dumb — and alone with Death ! Her widowhpod returaeth ! The long lo9g r chearl^s&hom*s When lji$ a bJosspm bligUted Àmong a, wpgld of flo^rs, Her heart lay cçajcq^d a»d.witj]^«d By bitt^n^ss .iLnd pai% And sunligjttf, jpy, and fresUopss To h^E s^ipedai^d^in vain. For the glorio«$tigjht,of moniing And tUs dftW ça&ii s{ evç And the glowing aoou-d^ beaiUy Are alike.to, thipaç wl*o grieve^ And the winter ifr&tyie sxratça 149 With a chjjjpçsa like thç toojd* When qft,flji$wwi^ v<*M# safl tyss&us 472 LA PETITE CHOUANNERIE. In the long deserted home, When we know no time can bring them From the far world where they dwell No shout of gladdening welcome Succeed the long farewell, But the well-known smiles are absent, And the eye's dear light is o'er And their place is cold and vacant Now — and for evermore ! Oh Prayer ! thou Shield and Buckler Of the faint despairing soul, Thou Lifter of the humble To where God's thunders roll , Framer of wings that bear us , AU darkened as we are , To the world where light abideth In the Sunshine and the Star : Thou wert the Widow's succour The ever présent friend Shewing through every trouble A refuge and an end, And in her chastened bosom The holy thought arose To shield her eager orphan From a world a of stormy woes, CHAPITRE VI. 475 To offer up like Hannah Her son to Heaven's own care As with a gift too precious For meaner love to share And bid the priestly mantle A blessed lot afford Her boy, like Samuel given To the temple of the Lord ! It might not be ! his spirit Was ail too rash and bold His heart too young and fervent For vows so calm and cold : Yet think not that the Widow Her offering made in vain, Heaven's unregarded blessings Corne down on us like rain ; And he may brave life's dangers In hope and not in dread Whose MoUier' s prayers are lighting A halo round his head ; In wheresoe'er he wanders Through the cold world dark and wild, There whitewinged angels follow To guard earth's erring child. LA PETITE ÛfttmUffïERIE. Go ! let the sc<**for cëll k A shadtfw af*d a éreafft, Those meek-stibsefVîent spirôtk Are nearer fttfm *we éeem * Tbink notthey vifsît ortly The bright enraptfcreSeyè Of some pfefé*aintefl martyr Prepared and glad *to die ; Or that the Poet's fancy Or Painter^ tseloflted i&ffl Créâtes a dretrtîi -of tœatrty And moulés a frortd wBl : They live ! tirey vatide* totmd tre, Soft re&mg ah the tflotid ; Altho 1 to linman ■vision The sight be >&hti\kweé ; They are to -the Alitrigfrty What 4be *ay« «to *tfce An emanatiftg^egséftoe Fmm éhe :gre*t «apetrart : They bend for pwrçer **o *feteïl , They weep 1© «tfitfieBS oritoes , I*ey wtfk* for *rely wowiente. . . Good *hcwgfets ; repefttwrt tërtie». . . They cheer *lie meek gftd fc amble They heal the broken heart CHAPITRE TT. 175 They -teach tfte TvavYmg spîrit From earfhty *ies to part ; Unseen they chvëM amongtts As when they watched bélow In spiritual angtrish The sepulchre of Woe : And when we pray, though feebhe Our orisons may be , They then are our companions Who pray eternally ! When the youthful hero armed him For the fierce unequal fight, His only strength, conviction Tliat his cause was true and right, When his comrades round lay slaughtered On the soaked and bloodstained mould Each cheek so fresh and blooming They scarce seemed dead and cold ; What saved him ? not the courage Of a brave and reckless child, Nor skill to guide the battle Nor efforts vain and wild ; But the meek and silent hour When the Breton Mother prayed To the Power that slill sustained lier 476 LA PETITE CHOUANNERIE. When faint and sore dismayed ; The Father and Befriender Who in tliat hour of strife Pitied the Widow's weeping And spared the Orphan's life ! Caroline Norton. CHAPITRE VII. Upon snch sacrifices, my Cordelia, The Godf themselyes throw incense. Sur de tels sacrifices, mi chère Cordélie, les Dieu eux-mêmes jettent de l'encens. Shauspeab, le Roi Lear. Enfin l'horloge du collège sonna quatre heures, et la cloehe de la chapelle donna le signal de la sortie générale, qui fut pour nous comme un signal d'affran- chissement. Pendant les deux heures qui suivirent , les élèves expéditionnaires, sans autre bagage qu'un 12 478 LA PETITE CHOUANNERIE. paquet imperceptible sous leur habit, traversèrent la ville en groupes plus ou moins nombreux , se succé- dant à des intervalles convenus d'avance , et tirant un livre de leur poche ou faisant semblant de jouer à quelque jeu d'enfant, pour mieux tromper les fac- tionnaires qui gardaient les portes. A sept heures du soir, ils étaient presque tous hors des murs , et leur départ fut si peu remarqué que , dans la plupart des maisons, on prépara leur souper comme à l'ordi- naire. Le lendemain , les cafijecttutes étaient encore flot- tantes et les maîtresses de pension ne surent que pen- ser quand elles virent que toute la journée s'écoulait sans ramener au logis un seul de leurs pensionnaires. Et cependant la police n'avait pas eu vent de notre départ, et tout se bornait encore à une sourde rumeur qui circulait dàns les faubourgs,, mais sans y prendre beaucoup de consistance , à cause de l'habitude où nous étions de passer nos jeudis à parcourir en nom- breux détachements tes campagnes environnantes. Le vendredi matin, la cloche sonna l'appel accou- tumé à l'heure même où nous avions notre première rencontre sanglante avec les bleus. Nos professeurs, en entrant dans la cour, furent stupéfaits du morne silence qui régnait autour d'eux ^il&pénétrère&A dtns les classes, où ils ne trouvèrent qu'une vingtaiae d'en- fants ou de convalescents , auxquels ils tournèrent dédaigneusement le dos. Des inscriptions ironiques et menaçantes, qui avaient été tracées à la hâte, au CHAPITRE VII. 479 dernier moment, sur les murs et sur les chaires atti- rèrent leur attention et commencèrent à leur ouvrir les yeux. L'un d'eux ne put s'empêcher d'éclater de rire en lisant sur un pupitre l'avis suivant, tiré du psaume \ 26 : Vanum est vbbis antè lucem sur gère; et si après cette inspection il restait encore quel- ques doutes au vénérable aréopage sur nos nouvelles occupations , ils ne tardèrent pas à être levés ; car ceux qui le composaient entendirent bientôt battre la générale et virent arriver les débris de la colonne mobile que nous avions écrasée le matin. Les autorités locales devinèrent enfin ce que nous avions tramé et ce que nous étions devenus, et la vieille rancune de nos ennemis s'accrut de toute la honte qu'ils ressentaient d'avoir été joués par des enfants. Leur colère ne pouvant plus nous atteindre, on nous assura qu'il fut question de rendre les parents respon- sables de l'insurrection de leurs fils (et l'on sait com- ment le régime impérial entendait cette responsabi- lité), mais que le général Rousseau ayant déclaré qu'il n'exécuterait ni ne sanctionnerait jamais une pareille mesure, l'on avait résolu de se venger sur le collège même de la conduite factieuse des élèves : et en effet, à quelques jours de là, il fut changé en caserne pont recevoir les troupes qui vinrent renforcer la gar- nison de Vannes, une partie des édifices fut démo- lie et les matériaux employés aux fortifications de la ville; et les fonds affectés au paiement des professeurs, ainsi que le produit de la rétribution uiriveïsitaif e , i~t wwwm cmwmiiit «ar nous . quand on 3«iHlpabé l'enthousiasme qui Km piœ fart de nos hostilités mblèmesde l'usur- pe le Eût* tard, et pour ainsi dire la veiltaduiliaen- eiement,4me compagnie entière de cette légkmfpesta l'audace jusqu'à croiser la baïonnette eoutre taaa co- lonel. C étaitsurtout pendant nos marehe&neeturneBqnB la répression de ces désordres paiftkls itait predigÎM*- sement difficile. Pendant le jour ? outr*ksuiweillan«e que nous exercions les uns sur .les autres,, les officiera, par émulation autant que par pré?oyane0, tenaient** bien, leurs soldats en haleine en le& occupant «oit àJa confection des cartouches , soitadx différente e&ereiôes dont se compose T éducation militaire, qmmumsat, pour suffire a tout, ils étaient obligés ^d'abtfégpar ,fee«r sieste après teur repas du milieu du jour. «Grâces à cette continuité d efforts coragiondiora de la , part des diefs, etau bon esprit qui .animait 1» capitaines de paroisse , notre .petite armée .priante CHAPITAtE Vi|II. Î27 Jbieotot une iorœ compacte et .régulière , capable de tenir tête ;à des troupes de ligne, même en rase $am- jpagne, dès le lendemain du jour où psfc- 228 LA PETITE CHOUANNERIE. sonnes ni dans la convoitise des choses , ils furent oommis sans remords , mais non pas toujours sup- portés sans murmure. Bref, au moment de ten- ter notre expédition aventureuse dans le départe- ment d'Ille- et -Vilaine, chacun de nous se trouvait pourvu d'une vingtaine de cartouches, et notre or- ganisation, à peine ébauchée la veille du combat de Sainte -Anne, avait acquis un degré de consistance dont les vieux chouans étaient tout étonnés, et dont les jeunes étaient tout fiers ; car, sur ce point, il y avait une sorte de rivalité entre l'ancienne et la nouvelle génération. À la tète de la vieille école était notre général en chef, de Sol de Grisolles, qui s'était signalé dans toutes les guerres de la chouannerie et avait succédé au brave comte de Silz dans le commandement de tout le pays situé entre Vannes et la Vilaine. De tous les chefs de division contemporains et collègues de Georges, lui etRohu ont seuls survécu (4); avec cette différence que Robu n'a rien perdu de son énergie ni de son ascendant, tandis que le pauvre de Sol s'est tristement survécu à lui-même. En sortant de l'humide cachot où il a croupi pendant huit années consécutives , il ne s'est plus trouvé le même homme; tous les ressorts de cette âme ardente s'étaient détendus par la souf- (1) Vincent Hervé vivait encore et aurait pu rendre d'utiles ser- vices ; mais le conseil supérieur avait donné le commandement de sa division à Leridant, ancien aide de camp de Georges. Le vieux chouan n'avait pas pu digérer ce passe-droit. CHAPITRE VIII. 229 france ; ses facultés physiques et morales étaient af- faissées; sa voix cassée n'avait point d'accent; soa regard était vague ; sa physionomie sans expression, et son attitude on ne peut moins imposante quand il paraissait sur son mauvais cheval gris pour faire sem- blant de nous passer en revue. Toutes ces infirmités étaient aggravées par un entêtement invincible, et par un besoin tellement impérieux de nourriture et de sommeil, que le peu qui lui restait de son ancienne énergie en était comme paralysé. En un mot c'était une ruine qui avait des droits incontestables à nos res- pects , mais qu'avec la meilleure volonté du monde, nous avions delà peine à trouver respectable. Heureusement nous avions , pour compenser sa nullité, un chef d'état-major à qui son infatigable vi- gilance, son caractère tout chevaleresque, et surtout son intelligente sympathie avec le paysan breton, avaient conféré un pouvoir bien plus réel que son titre de commissaire extraordinaire du roi. C'était le marquis de La Boissjère , fameux sous la restauration par un écrit violemment critiqué qui aurait pu porter d'autres fruits , et par un discours qui fit tressaillir d'enthousiasme une assemblée législative, le jour où, par un mouvement qui rappelait le fameux serment de Démosthènes, il jura devant elle, par la mémoire des héros morts dans la Bretagne et dans la Vendée, que ni les uns ni les autres n'avaient failli. La légion de Cadoudal était alors forte de huit cents hommes, répartis en deux bataillons commandés cha- 356 LA PETITE ClIOV£lHtERlE. eun par un paysan qui avait conquis son grade dfcns tes premières guerres, sons les yen* dfe Georges: Les compagnies de marins , avec leurs Vestes- de même eotipe et de même couleur, avaient Pair rencontre où, assailli par huit gendarmes bien' armés, il avait résisté seul, sans autre arme que ses poignets de 1er entre lesquels il avait étranglé le premier qui lui était tombé sous te main. Laissé pour mort dans une mare de son propre sang-, puis, chargé f ff ril Ml d nacaîl pus ahlenu le premier grade U y avait , ias b paraiue de Bignaa 7 un brave serileur de Ieapm. » «liât 4e «Ile mille garde dont la gloire «tait n ylfa même parmi le» déserteurs de la Bretagne. La veille de la prise darmes. les chouans étaient va» pour lu offrir de le mettre à leur Mie. Son premier mouvement avait été de refuser cet honneur et de rester neutre entre deux partis dont chacun avait des droits â son respect; mais quand il avait vu qu'on s'empa- rait de son cher fusil qu'il avait rapporté de tant de batailles, il n avait pas pu se résoudre i cette sépara- tion, et, après une courte lutte intérieure, pendant laquelle on avait vu de grosses larmes lui couler sur les joues , il avait tendu la main en signe de consente- ment, et c était lui qui, à l'époque de l'organisation définitive, avait été nommé capitaine des grenadiers d'élite* Mais tous ses efforts pour y implanter la disci- pline de la grande école dont il s'honorait d'être sorti, ne produisirent que des résultats superficiels; CHAPITRE VIII. 255 jusqu'à la fin, le déserteur l'emporta sur le soldat Ce fut tout le contraire dans le bataillon de Gam- ber : la plupart de ses sous-officiers et un bon nombre d'officiers ayant fait les dernières campagnes de l'em- pire, ils en avaient rapporté des habitudes de disci- pline régulière dont leur chef reconnut bientôt l'avan- tage pour comprimer efficacement toutes les passions de désordre parmi les siens. Les quatre cents hommes qu'il avait alors sous ses ordres manœuvraient déjà avec une précision vraiment étonnante pour de si fraîches recrues. On les voyait à l'œuvre trois et quatre fois par jour, sous la poussière et la chaleur, répétant leurs évolutions au son du tambour, et obéis- sant comme un seul homme au commandement de leurs sergents enroués. Avec leur petite veste de laine blanche et leurs chapeaux à larges bords , ils présen- taient assez d'uniformité dans le costume pour pro- duire une sorte d'illusion à l'œil, et cette illusion était d'ailleurs confirmée par l'expression et le caractère des physionomies généralement dures et martiales. Mais là ne se bornait pas l'ambition du brave Gam- ber ; il se souvenait qu'il avait fait ses premières armes dans ï armée Catholique à* Bretagne, et, quoiqu'en 4845 nous fussions tout simplement intitulés armée Royale, il voulait que son bataillon fût marqué du sceau religieux de la première chouannerie. 11 ne lui suffisait pas que ses hommes fussent dignes soldats de l'empire par la discipline et la bravoure, il lui fallait, en outre, qu'ils fussent dignes continuateurs de la 134 LA PETITE SHOfJAltlffeRIE. Vendée par le recours* fréquent Apériodique à lapro- téotiondu oiell Souvent, après leurs exercices éta soir, (m lës voyait rangés par compagnies lè tomg* d'un fossé; à' l'abri (fer vent pour mieux entendre la parafe Le coup mortel dont il Ait 344 LA PETITE CHOUANNERIE. atteint , dut être tiré à bout portant ; car quand on le trouva le lendemain étendu au pied de la croix de granit , qui est à l'entrée de la lande de Poulbaie, il avait le visage tellement noirci et brûlé par la poudre que ce fut seulement à ses cheveux blancs et à ses habits qu'on put le reconnaître. Mais la plus intéressante de toutes les victimes qui périrent dans cette journée , fut sans contredit le vicomte de Langle, ancien officier d'artillerie à Tannée de Condé. Il était arrivé à Auray le jour même du combat avec quelques centaines de paysans pour lesquels il avait cru qu'il y aurait des armes toutes prêtes. Dès qu'il entendit la fusillade , il leur lit doubler le pas ; mais , arrivé sur le champ de bataille , il apprit avec consternation qu'il n'y avait pas un seul fusil à mettre en leurs mains. Alors il veut les renvoyer chez eux pour qu'ils ne soient pas enveloppés dans le désastre dont les chouans sont menacés : ils lui obéissent à contre-cœur et les larmes aux yeux. Pour lui , il se précipite vers un groupe de fuyards qu'il cherche à rallier par ses cris et par ses gestes . menaçants , et au bout de quelques minutes, il tombe frappé d'une balle au cœur. C'était à quelques pas du Champ des Martyrs , où son frère aîné et son oncle maternel , le comte de Talhouet, avaient été fusillés avec tant d'autres vic- times après la catastrophe de Quiberon. Notre général en chef n'était pas reconnaissable depuis la journée du 20 juin. 11 montrait une vigueur CHAPITRE III. 845 et une impétuosité de détermination qui contras- taient singulièrement avec les habitudes léthar- giques qui nous avaient tant fait murmurer contre lui , et dont rien jusque alors n'avait pu le faire sortir. 11 pressait les nouveaux débarquements qui avaient été promis par l'amiral Hotham et qui furent effectivement exécutés plus tard sur trois points diffé- rents de la côte, de manière à faciliter l'armement immédiat des cantons retardataires. En attendant, il détacha sur le Finistère la légion de Julien Guil- lemot , qui se mit en marche le surlendemain même du combat d' Auray,. et auquel il ne fallut que quatre ou cinq jours pour s'emparer de Guéméné, dfr Gourin et de Carhaix. C'était déjà un commen- cement de revanche , mais ce n'était pas assez pour Pe Sol ni pour les chouans qu'il commandait. Rousseau s'était remis en campagne, non pas dans l'intention sérieuse de prendre l'offensive , mais pour appuyer, par quelques promenades mili- taires autour de nous, les négociations que le général Lamarque avait ouvertes avec notre quartier- général par l'entremise de Bigarré. Ce dernier nous envoya une lettre de Sapinaud , en y joignant l'offre ou plutôt la sommation de mettre bas les armes aux mêmes conditions que les Vendéens. « Je vous « préviens , disait-il en terminant , que mes troupes < « ne cesseront de vous poursuivre que quand vous « aurez fait connaître vos intentions formelles de « vous prêter aux intimes prières que j'ai l'honneur « de vous adresser. » 946 LA PEflfE CfiOUAlVNERIE. Ce ton moitié impérieux et moitié suppliant fut regardé comme une sorte de transition que se ménageait me âme fière pour armer à une pacifi- cation qui ne fût pas trop désavantageuse ; car le grand échec essayé pur les troupes impériales à Waterloo était déjà connu en Bretagne. Bien que cette nouvelle fèt d'un grand poids dans la balance des négociations entamées , De Sol eut la délicatesse de n'y pas faire la moindre allusion dans sa réponse , qui fut aussi noble que laconique : « Les ordres du Roi, votre maître et le mien, me « prescrivent la conduite que j'ai à tenir. Je votrs « avertis seulement que vous répondrez devant lui « de tout le sang qui sera versé à dater de ce jour (J ). * Il fout qufe cette responsabilité n'ait pas beaucoup effrayé le général Bigarré ni ceux qui l'entouraient; car le 5 juillet, c'est-à-dire quand le résultat de la bataille de Waterloo, déjà connu depuis dix jours, devait an moins suspendre de petites hostilités comme les nôtres, l'approche d'une colonne ennemie nous fut annoncée par une jeune fille de Pleseop , qui courut pieds nus et tout échevelée jusqu'au botirg de Grand -Champ où nous nous trouvions àfors. Jamais pareille noutelle n'avait été accueillie ateé tant de joie depuis le commencement de la cam* (1) Cette lettre, ainsi que toutes celles qui furent écrite? à De Sol par les généraux impérialistes depuis le combat d' Auray jusqa'à la pacification définitive , se trouvent aux archives de l'amirauté, à Londres, avec. d'autre* pièces curieuses qui mon- trent jusqu'où peut aller l'importunité des intrigants et surtout des intrigantes. 6 H A Pif HE %n. HAÏ pagne* On se promettait une si bcnnè retfttche de la journée d'Auray! La légion en tête de laquelle figuraient ie» écoliers, ouvrit la marche ou plutôt ia «ourse; car nom avions peur que le brave Gwaber , qui avait aussi, lui, des comptes à régler avec les bleus et qui s avançait parallèlement à nous *4tr notre droite , ne s'y prit de manière à laisser peu de chosç à faire à ceux qui viendraient après lui» Heureusement son tambour se mit à battre la charge, ce qui lit marcher ses gens d'un pas plus ré- gulier mais moins rapide que le nôtre. Aussi eûmes- nous les prémices de la fusillade ; mais nous étions pressés de jouir et nous tirâmes de si loin sur la colonne ennemie, que nous lui fimes beaucoup plus 4e peur que de mal. Les bataillons qui nous suivaient s étant mis en ligne sous un nuage de fumée qui leur cachait les distances et les positions respectives, ouvrirent leur feu dans une direction si incertaine , que leurs balles passèrent bien plus près de nos tètes que de celles des bleus. Les hommes de Gamber tirè- rent à leur tour, moins maladroitement , mais aussi 4'un peu trop loin. Toutes ces décharges innocentes, laftee presque simultanément, étaient très-bruyantes, eurtout celles du bataillon de Gamber, qui longeait un bois de sapin dont les doubles et triples échos répandaient une double et triple épouvante parmi les rangs ennemis. Cependant nous les vîmes se déployer assez gau- chement sur la lande , et s'apprêter à nous riposter 548 LA PETITE CHOUANNERIE. tant bien que mal. C'était une belle occasion de satisfaire l'ambition que nous avions depuis long- temps de tenter une charge à la baïonnette, et déjà nous serrions nos rangs pour nous apprêter à remplir cette dernière lacune dans notre éducation militaire , quand tout à coup un cri poussé par les soldats de Gamber vint nous priver de cette satis- faction. Ils avaient vu passer un chevalier de Gand (4 ), qui se tenait couché à plat ventre sur sa monture pour donner moins de prise aux balles qui com- mençaient à siffler à ses oreilles, et ils l'avaient poursuivi d'un tel concert de huées à 'cause de son ignoble attitude», que les bleus, déjà déconcertés par notre brusque offensive, crurent entendre un hourrah préliminaire avant une attaque générale - et , sans même prendre le temps de faire une seconde décharge , ils se mirent à fuir à toutes jambes. Nous avions déjà soupçonné , à leur attitude et à leurs manœuvres , que nous n'avions pas à faire à des troupes de première qualité. Leur déroute , la plus risible que nous eussions encore vue , changea nos soupçons en certitude. Il y en avait qui fuyaient si lourdement , bien qu'ils eussent jeté fusils , shakos et gibernes , que le moindre obstacle suffisait pour (1) C'était ainsi que les paysans bretons appelaient entre eux une vingtaine de braves gentilshommes nouvellement arrivés de Gand pour s'associer à leurs dangers, et auxquels ils attribuaient, avec très-peu de fondement, des prétentions qui n'étaient pas suf- fisamment justifiées par leurs états de services. CHAPITRE XII. 549 les arrêter. En voulant gravir les haies, ils roulaient dans le fossé ; en voulant franchir les buissons , ils tombaient la face et les mains contre les épines et se croyaient blessés à mort quand on les relevait tout ensanglantés. D'autres, la tète nue et les bras piteusement levés vers le ciel , tournoyaient d'un air effaré autour d'un même point, et semblaient vouloir courir dans plusieurs directions h la fois. Les plus lestes se dirigèrent précipitamment vers la mer, non pas pour s'y noyer de désespoir, mais pour se cacher dans les lies inhabitées du Morbihan. Quelques-uns réussirent à gagner l'île aux Moines , où ils se crurent encore si peu en sûreté qu'ils allè- rent se confesser au curé de la paroisse comme s'ils avaient touché à leur dernière heure. Cette dernière circonstance dit assez que ce n'était pas aux dépens de la garde nationale ni des fédérés, que nous nous étions amusés ce jour-là. Non, cette colonne que la jeune fille de Plescop avait jugée si formidable de loin et qui s'était montrée si peu belli- queuse de près , était composée en grande partie de douaniers que nous avions balayés de tous les canton- nements occupés par eux dans le pays , et qu'on venait de lancer sur nous sans égard pour leur qua- lité de pères de famille. Les premiers prisonniers que nous fîmes nous causèrent le même genre de désap- pointement qu'éprouverait un chasseur qui, trompé par la brume matinale , croit avoir tiré sur un lièvre et ne trouve qu'un gibier de qualité inférieure. Aussi 239 ut rrrora cimiiieiie. par huma- des égards . nous arioos été si Ml- ; h route de Tannes, que de les pour- cette dÂra-tîou, ne fci-ee que pour bobs le plaisir nTcnkadie battre h générale. Nous > bientôt, par desaintsqui rôtrent nous joindre, que la tille était prenne entièrement dégarnie de troupes, et que Rousseau était assez loin sor la roote de Ponthy pour quon eét le temps de brusquer une attaque avant son retour. La tentation était forte, mais heureusement elle ne fait pas irrésistible. Cent été terminer notre campagne par un acte de barbarie gratuite, puisque nous étions sûrs que Vannes serait à nous dans quelques jours, et sans effusion de sang. Il y eut seulement quelques écoliers qui pénétrèrent par braTade jusques dans les faubourgs , d'où ils s'amusèrent à tirer quelques coups de fusil sur la caserne de \axarelh. Après cette démonstration inof- fensÎTe, nous nous éloignâmes on ne peut plus salis- (1) L'impopularité des douaniers ou gabeiovs, en Bretagne, roBOBtt an xvn* siècle; mais die a été perpétuée par des abus auxquels l'administration aurait certainement porté remède çi quelqu'un les lui avait signalés. On ne se figure pas les avanies inquisi tonales auxquelles sont soumis les habitants de nos îles et même les étrangers qui voyagent dans le Morbihan. Quelques jours après le combat de Plescop, les marins de File d'Arz, très- peu affectionnés à notre cause, vinrent nous joindre à Muzillac , dans l'espoir qu'oa se battrait encore contre les douaniers. CHAPITRE XII. 554 faits de notre journée , au moment où les bourgeois, qui n'étaient pas rassurés sur nos intentions , et qui craignaient toujours un engagement nocturne, fai- saient tirer le canon d'alarme de la tour Saint-Jean, pour avertir le général Rousseau de venir prompte- ment à leur secours. CHAPITRE XIII. Tùm pie la te gravem ac tneritis si forte virum quem Conspexére, lilent. Virgile. A dater de notre victoire de Pleseop, qui fut rem- portée le 4 juillet , les bleus renoncèrent à tenir la campagne contre nous, et nous laissèrent maîtres de tout le pays, à l'exception des places fortifiées, comme Vannes, Lorient, Pontivy, et le fort Penthièvre. Les Chapitre xiii. 555 recrues nous arrivaient de toutes parts en si grand nombre, que les débarquements opérés par l'amiral Hotham étaient insuffisants pour les armer. On se figurerait difficilement les bouillantes manifestations de zèle auxquelles se livraient devant nous plusieurs de ces serviteurs retardataires. Plus ils se sentaient écrasés par la comparaison que chacun faisait entre eux et ceux qui avaient payé de leur personne, plus ils avaient la bouche pleine de propos furibonds contre ceux qu'ils appelaient les terroristes des cent-jours. Ils voulaient des listes de proscription et surtout de grands exemples ; et comme il y avait parmi ces nouveaux venus un assez bon nombre de beaux par- leurs , tant bourgeois que gentilshommes , et qu'on les rencontrait presque partout, il fallait subir leurs ennuyeuses harangues au quartier-général , sur les places publiques , dans les auberges , et jusque dans les corps-de-garde. Un autre spectacle non moins instructif et peut- être encore plus repoussant , nous fut donné par des fonctionnaires publics qui vinrent de plusieurs points du département et peut-être aussi du chef- lieu, expliquer à notre général en chef les inappréciables services qu'un léger parjure les avait mis à même de rendre à la cause de la légitimité, et lui demander de mettre clandestinement leur dévouement à l'é- preuve. Tout cela se passait dans la petite ville de Muzillac, où nous nous étions portés le 8 juillet pour attendre 23 CM LA PETITE HOOIHHERIE. le résultat des négociations entamées avec le général Rousseau. La première entrevue fut asses orageuse. Rousseau demandait des conditions tellement exorbi- tantes pour un parti vaincu , qu'il était impossible de s'entendre. Il menaçait de nous passer sur le corps pour aller rejoindre Tannée de la Loire avec toutes les troupes placées sous son commandement. Nous savions fort bien qu il était homme à tenter l'exécu- tion de cette menace ; mais notre armée , grossie d heure en heure par de nouvelles recrues, montait alors à plus de doute mille hommes , dont près de la moitié était asseï aguerrie pour tenir tète à des régiments de ligue; de sorte que nous étions par- faitement en mesure contre ce coup de désespoir. Cependant nous nous tenions sur nos gardes. Sur ces entrefaites , le démon de la discorde jetait un brandon au milieu de nous, qui faillit donner à notre guerre civile le plus épouvantable dénouement. Le bruit courut qu'un certain nombre de caisses récemment débarquées par l'amiral Hotham conte- naient de jolies carabines fort légères; et les écoliers, qui étaient les enfants gâtés de tous les vrais chouans, des paysans comme des marins, furent encouragés par eux à réclamer la préférence. Depuis quelque temps, plusieurs d'entre nous avaient les épaules tel- lement meurtries par les lourds fusils anglais reçus au premier débarquement, qu ils étaient obligés de les porter à la main, à moins qu un robuste camarade ne se chargeât, par pitié, d'un double fardeau, ce qui CHAPITRE XIII. 555 manquait rarement d'avoir lieu quand nous étions en marche; et même nos officiers supérieurs , qui étaient ordinairement très-paternels pour nous , en avaient plus d'une fois fait la remarque. Nous ne doutions pas du succès de notre dé- marche, quand nous nous présentâmes au quartier- général pour demander la permission d'échanger nos vilains fusils qui nous écrasaient de leur poids, contre les élégantes carabines qui étaient, disait-on, arrivées la veille. On nous répondit assez sèchement que ces carabines avaient une autre destination plus conforme aux besoins du service, et que ce notait pas pour satisfaire un caprice d'enfants qu'on les avait fait venir de la flotte anglaise. À ces mots , le plus jeune des pétitionnaires, qui était entré cavaliè- rement sans cravate et sans habit, rabattit le col de aa chemise, et montra une épaule toute noire de meur- trissures. Cet argument, que nous avions tenu en réserve comme un grand mouvement oratoire , ne produisit pas plus d'effet que nos remontrances ver- bales , et nous sortîmes de cette entrevue le cœur gonflé de rage contre les hommes au profit desquels on venait de nous faire éprouver un si mortifiant refus. Nous savions depuis plusieurs jours qu'on s*occu- pait de l'organisation d'une nouvelle compagnie d'élite dans laquelle on voulait faire entrer cette mul- titude de serviteurs fidèles qu'une honte tardive fai- sait affluer dans notre camp , où ils encombraient 356 Ll FETITE CBOCA53EBIE. Fétat-major déjà ridiculement surchargé. 11 y avait parmi eux des chevaliers de Saint-Louis qui, malgré leur âge, leur décoration et Irais titres, consentaient à porter le mousquet de simples soldats à coté de petits gentillatres obscurs que nous voyions d'assez mauvais œil. Or, ces derniers formaient les quatre cinquièmes du corps d'élite dont les prétentions , suivant nous très-insolentes, se trouvaient en conflit avec les nôtres. Qu'on se figure F amertume de nos plaintes et les éclats de notre indignation , quand nous vîmes défiler cette compagnie doublement rivale , rivale pour le titre et rivale pour les armes, et qu'elle se mit à manœuvra* sous nos yeux avec ces belles carabines auxquelles notre sang versé sur quatre cbamps de bataille nous donnait des droits pour ainsi dire sacrés I Sans le respect que nous avions pour les vieux, quelque cbose de tragique se serait passé ce jour-là entre leurs jeunes compagnons et nous. Le lendemain vers midi , un courrier arrive au grand galop par la route de Vannes et nous annonce que le général Rousseau, après avoir réuni toutes les garnisons dispersées dans les places fortes du dépar- tement, vient de se mettre en marche avec cinq ou six mille hommes d'excellentes troupes parfaitement disposées à seconder la résolution qu'a prise leur chef de nous vaincre ce jour-là ou de mourir. Aus- sitôt nos tambours battent la générale, et Ton assigne à chaque corps la position qu'il devra défendre. CHAPITRE XIII. 557 Pour flatteries écoliers et leur faire oublier l'ini- quité de la veille, on leur accorde l'honneur démar- cher en tète et d'engager l'action avec l'ennemi en avant du village de Penesclus. « Et pourquoi l'autre « compagnie d'élite ne viendrait-elle pas avec nous? » s'écria brutalement l'un des nôtres. « Nous vou- « drions bien voir l'usage que ces beaux messieurs « sauront faire des carabines qu'ils nous ont volées. « — Faites votre devoir et ils feront le leur, » répon- dit l'aide de camp d'un ton emphatique ; « leur poste « est dans l'intérieur de la ville , auprès de notre a général, auquel ils se sont bien promis de faire un « rempart de leurs corps. »  ces mots , la sédition éclate. Les uns crient : « Nous ne marcherons pas ; » les autres s'emportent en imprécations contre l'état-major, et le général, et sa compagnie d'élite , et veulent qu'on la pousse à l'avant-garde la baïonnette dans les reins. Le tumulte, qui va toujours croissant, est entendu par les marins de Cadoudal et par les paysans de Gamber, qui, non moins indignés que nous , joignent leurs clameurs aux nôtres et nous confirment dans notre séditieuse détermination. Mais De Sol savait qu'il y avait un homme dont nous ne méconnaîtrions pas la voix, à cause de l'empire absolu qu'il exerçait sur nos cœurs; il nous dépêcha donc en toute hâte le chevalier de Margadel, dont l'éloquence militaire , inspirée par la vue des lieux témoins de notre funèbre victoire 588 LA PETITS CHOGAKKERIE. do 40 juia, triompha de notre résistance, mai* tins triompher de notre colère; car nous ne partîmes qu'après avoir arrêté un projet de vengeance à l'exé- cution duquel les farouches auxiliaires qui nous entouraient ne demandaient pas mieux que de con- courir. Il lut convenu que si la compagnie d'élite ne se battait pas contre les bleus» nous la contraindrions à se battre contre nous. Heureusement pour tous , la journée s'écoula san&que nos éclaireurs eussent rien aperçu sur la route de Vannes. Rousseau ne sortit même pas de la ville. Il était à la fois trop habile et trop humain pour courir les chances d'un pareil coup de désespoir, qui ne pouvait pas même retarder d'un jour la chute du maître qu'il avait si loyale- ment servi. Son seul but , en nous donnant cette fausse alerte, avait été d'obtenir de nous des conditions plus avan- tageuses. Mais notre général en chef ne voulut pas démordre de celles qu'il avait proposées d'abord , et dont la plus dure pour nos adversaires était la reddi- tion immédiate des places occupées par eux. L'idée de se trouver face à face avec les chouans vainqueur» et armés n'était pas très- rassurante pour certains bourgeois révolutionnaires qui , dans leurs discours et leurs moyens de répression, s'étaient trop inspirés des souvenirs de 4795. Aussi ne voulaient -ils pas entendre parler de capitulation, et faisaient-ils l'im- possible pour pousser le général Rousseau à des pur lia CHAPITRE XIII. 580 extrêmes* Mais, comme ils ne formaient dans la popu* lation qu'une minorité presque imperceptible, les né- gociations n'en recommencèrent pas moins; et toutes les fois qu' un parlementaire ennemi se rendait à notre quartier-général , nous avions soin de déployer devant lui tou9 nos formidables moyens d'attaque, nos quatre obusiers, nos six pièces de campagne maintenant servies par des canonniers hanovriens, et surtout nos deux canons de 24 que nous avions enlevés du fort de Penerf, et qui , montés sur des charrettes en guise d'affûts, produisaient plus d'effet que tout le reste par la grossièreté même de l'attirail. Enfin la paix fut conclue à des conditions assen singulières. Il fut convenu que les chouans oceu*- peraient les faubourgs de Vannes , et que les bleus resteraient maîtres de l'enceinte intérieure où le drapeau tricolore continuerait de flotter jusqu'à nouvel ordre. Tant que la police de la ville serait faite par les troupes de ligne sous les ordres du général Rousseau , nulle collision sanglante n'était à craindre entre la garnison et nous. Il y avait une garantie qui valait mieux que toutes les conventions verbales ou écrites , il y avait estime réciproque , et même Une sorte de curiosité bienveillante de se voir d'un peu plus près. Ces dispositions chevaleresques se remarquaient surtout parmi les écoliers du col- lège. Aussi , malgré les concessions un peu fortes faites par notre général en chef, reçurent-ils avec des transports de joie enfantine la nouvelle de leur pro- 560 LA PETITE CHOUANNERIE. chaîne entrée triomphale dans ces murs d'où , quelques mois auparavant , ils s'étaient échappés comme d'une prison. Mais un ornement manquait à notre triomphe : c'était le beau drapeau de satin blanc qui avait figuré dans nos fêtes de Tannée précédente , et sur lequel notre devise : Dieu et le Roil était brodée -en grandes lettres d'or. De petits écoliers qui vinrent nous voir au bourg de Theix, où nous faisions notre dernière halte avant notre entrée définitive , nous apprirent que notre cher drapeau avait échappé aux recherches des troupes casernées dans le collège, mais que notre principal, fidèle aux maximes qui lui avaient déjà fait tant de tort dans notre esprit , avait cru devoir en ôter la devise , plus compromettante, selon lui , que la couleur. Et le nom de Dieu avait disparu avec celui du Roi. A cette nouvelle, voilà des cris d'indignation et de vengeance qui éclatent de toutes parts contre le pauvre homme, comme coupable à la fois de lèse- majesté divine et humaine. Les uns proposent d'aller la nuit l'enlever de son domicile, et de l'amener les poings liés et la corde au cou faire amende hono- rable au pied du Calvaire , en présence de tous les élèves. Les autres veulent qu'on le somme, sous peine de flagellation , de nous envoyer le drapeau tout réparé dans les vingt-quatre heures; et, ce dernier avis ayant prévalu , le plus jeune des officiers , le même qui par ses apostrophes insolentes avait rendu CHAPITRE XIII. 564 la vie si dure à ce malheureux principal pendant le mois qui avait précédé notre prise d'armes, fut chargé de rédiger la sommation en termes assez poignants pour servir à la fois d'avertissement et de vengeance. La tête encore toute montée par la part qu'il avait prise à cette fougueuse délibération où aucun des anciens griefs n'avait été oublié , le petit rhétoricien écrivit , sur un ton de familiarité insul- tante , une lettre pleine de menaces et de fiel , à laquelle il n'a jamais pensé depuis sans remords, et qui produisit l'effet désiré. Le drapeau arriva avant l'expiration du terme prescrit. Le lendemain, le même écolier était désigné pour commander le poste avancé qu'on avait mis sur la grande route de Vannes. Il savait que toutes ces pré- cautions n'étaient prises désormais que pour la forme, et que son absence ne pouvait pas être punie suivant toute la rigueur des lois militaires. Une heure suffisait pour franchir à cheval les deux lieues qui le séparaient de sa mère. Il ne résiste pas à cette tenta- tion. 11 attend que les officiers de ronde aient fait leur tournée , puis il se dirige au grand galop vers les avant-postes des bleus, bien sûr d'avance qu'ils ne lui refuseront pas le passage. Au qui vive de la sen- tinelle, il répond : Officier des écoliers. Et ces paroles agissent comme un talisman sur les soldats et sur le lieutenant qui les commandait. Ils apparte- naient au 75 e régiment de ligne , et c'était de leurs rangs qu'étaient parties les balles qui avaient frappé 562 LA PETITE CHOUANNERIE. à mort plusieurs de nos camarades an combat de Muzillac. Le lieutenant , tout ému du souvenir de cette journée dont il nous attribuait toute la gloire, le fut bien davantage , quand il sut que son jeune interlocuteur accomplissait, au mépris de sa con* signe, un pèlerinage de piété filiale. « Et moi aussi « j'ai une mère, ajouta-t-il en lut serrant la main, et « je vous envie le bonheur dont vous alleÉ jouir en « embrassant la vôtre. » A Tentrée du faubourg, l'accueil ne fut pas moins gracieux , bien que l'imprudent écolier eût attaché à son bras l'insigne de son grade, qui était une écharpe de soie blanche garnie de franges d'or. A son retour, la courtoisie fut la même, mais il s'y montra beau- coup moins sensible à cause d'une rencontré qu'il avait faite en sortant de la maison maternelle, et qui avait empoisonné toutes ses jouissances. Au point du jour, à l'heure où les volets de toutes les bou- tiques étaient encore fermés, un petit homme bien pèle , bien pensif et bien abattu, se promenait dans les rues désertes , comme un fantôme qui aurait oublié son heure. Du plus loin que l'écolier l'eut aperçu remontant la rue que lui-même se disposait à des* cendre, il reconnut non sans effroi son professeur, ou plutôt sa victime* A la vue de ce visage défait , sa férocité l'abandonne ; il se souvient de la lettre meur- trière qu'il a écrite l'avant-veille, et, le remords entrant dans son cœur avec la pitié, il passe ou plutôt il glisse le long du mur en baissant les yeux comme CHAPITRE XIII- 365 un criminel. Un coup d'oeil a suffi au maître pour lire tout ce qui vient de se passer dans l'âme de son élève» il franchit le ruisseau pour aller à sa rencontre, et, lui saisissant le bras presque malgré lui> il lui dit avec un accent de reproche paternel, à la fois doux et déchirant : « Mon bon ami , j'ai bien reconnu la main, « mais je n'ai pas reconnu le cœur. » Et l'enfant ne répondit pas un mot , tant il était suffoqué par la honte! Mais il ne fut pas muet devant ses condis- ciples ni devant les ennemis puissants que le pauvre principal avait parmi nos chefs , et le petit avocat lit si bien par ses harangues et par ses franches rétrac- tations, que toutes les haines dont son client avait été l'objet se trouvèrent bientôt désarmées. Quand on eut enfin fixé le jour où nous prendrions possession des faubourgs de Vannes, chacun fut im- patient de savoir dans quel ordre nous ferions notre entrée et quel corps aurait le privilège de marcher en tète de tous les autres. Cette question était résolue d'avance dans l'opinion des vrais chouans, tant marins que paysans, et, quelle que fût la rivalité qui les divisait quelquefois entre eux, ils étaient toujours d'accord dans leur prédilection pour les écoliers. L'état-major, tel qu'il était composé depuis notre victoire de Plescop, n'était pas à beaucoup près dans des dispositions aussi bienveillantes. On nous gardait rancune de la scène orageuse qui s'était passée tout récemment à Muzillac , et surtout du surcroît de popularité qui en était résulté pour nous. L'idée de 564 LA PETITE CHOUANNERIE. nous en punir en donnant à la compagnie, d'élite le pas sur la nôtre, entra dans quelques vieilles têtes en- core farcies de préjugés aristocratiques. Au premier bruit qui en courut , les vieux chouans de Cadoudal et de Gamber laissèrent éclater librement leur indi- gnation. Il y eut des provocations très-sérieuses, et ce ne fut pas sans peine qu'on parvint à empêcher une collision sanglante entre un groupe de gentils- hommes et quelques sous - officiers du corps de Gamber. Le bataillon de Lainez, presque entièrement composé de marins , habitués à mêler les jurements aux menaces, fut encore plus récalcitrant; ces intrai- tables loups de mer déclarèrent nettement qu'ils n'étaient pas faits pour avaler la poussière de ces beaux messieurs , et que si la compagnie d'élite es- sayait de passer devant eux , ils feraient feu dessus. Ces symptômes étaient trop menaçants pour que l'état-major n'y regardât pas à deux fois avant de mettre au défi de si légitimes susceptibilités. Il fut donc décidé, conformément au vœu général exprimé de la manière la moins équivoque, que les honneurs de la grande journée si impatiemment attendue seraient pour les écoliers du collège, et qu'outre le privilège de marcher avant tous les autres , ils au- raient celui de mettre des rameaux de chêne dans leurs fusils. L'honneur de porter notre cher drapeau reconquis fut unanimement décerné à Le Quellec comme au plus digne. On se figure sans peine tout le soin que nous CHAPITRE XIII. 565- primes de notre tenue militaire pour paraître avan- tageusement devant nos amis et nos ennemis qui se portaient indistinctement à notre rencontre ; et l'on se figure plus aisément encore toutes les scènes atten- drissantes et enivrantes qui se succédèrent sur notre passage. Il y avait des femmes qui ne pouvaient s'empêcher de pleurer en voyant nos visages maigres et noircis , nos chaussures sans semelle et nos vête- ments en lambeaux. De tout cela il n'y avait guère que notre maigreur et notre noirceur qui fussent involontaires ; il n'aurait tenu qu'à nous d'être chaussés et vêtus moins misérablement ; mais nous voulions qu'il y eût le moins de ressemblance possible entre notre costume et celui de cette élégante compa- gnie d'élite .dont les habits n'avaient pas eu le temps de se déchirer aux broussailles ni de s'user au bivouac. Dès le lendemain , la compagnie des écoliers se rendit à l'église de Sainl-Palern pour remercier Dieu d'avoir béni leur cause et leurs armes; toute la population du faubourg voulut y entrer avec eux. C'était une fureur d'enthousiasme qui rendait la prière presque impossible pour nos admirateurs et assez difficile pour nous-mêmes. Cependant nous chantâmes chaque verset du Te Deum avec une accentuation parfaitement adaptée à la circonstance ; on eût dit que nous en faisions à la fois un chant d'église et un chant de guerre , et que les divers sen- timents qui avaient exalté nos âmes , y trouvaient leur commune expression. . 566 LÀ PETITE CHOUANNERIE. Les marquée de bienveillance dont nous étions comblés rendaient nos relations faciles avec tout le monde, même avec ceux contre qui nous avions nourri d'assez justes projets de vengeance. De ce nombre étaient les bourreaux de Lemanach , qui devaient naturellement s'attendre à de terribles représailles. Quant au général Rousseau > non-seule- ment les écoliers avaient offert de monter la garde à sa porte; mais, de plus, ni eux ni les autres chouans ne refusaient de fraterniser avec ses soldats. Dans les auberges, on les voyait assis à la même table; aux portes de la ville > les factionnaires des deux partis ne pouvaient pas s'empêcher de violer la con- signe qui leur prescrivait le plus rigoureux silence, et plus d'une fois les explications réciproques don- nèrent lieu à des scènes fort touchantes. Le brave Martin de Sulniac , en allant relever une sentinelle , reconnut un sergent avec lequel il s'était trouvé engagé à Âuray dans une espèce de duel à mort , et qu'il croyait avoir vu tomber sans vie sous sa der- nière décharge , dans un champ de blé. Si les deux champions avaient servi sous le même drapeau , ils ne se seraient pas retrouvés avec plus de joie ni embrassés de meilleur cœur. Il semblait qu'on se fut entendu de part et d'autre pour donner un éclatant démenti à tous les enseignements de l'histoire sur les horreurs qu'entraînent inévitablement les guerres civiles. Il y eut redoublement de bons procédés quand CHAFITâJS XIII. 567 la capitulation devint complète, c'est-à-dire quand en eut ouvert les portes de la ville. Avant d'en prendre possession, nous assistâmes tous à une messe solennelle qui fut chantée par l'évéque sur une pro- menade publique bien spacieuse , afin que les deux armées , réunies au pied du même autel en signe de réconciliation, pussent s y déployer librement et offrir à la bourgeoisie , bien plus opiniâtre dans ses haines , un spectacle assez imposant, sinon pour les éteindre , du moins pour les adoucir. Celui que les curieux qui garnissaient les fenêtres des maisons en- vironnantes eurent sous les yeux au moment de l'élé- vation , était fait pour émouvoir le spectateur le plus endurci. En face des bleus qui étaient parfaitement alignés et qui avaient seulement un genou en terre, on voyait tous ces pieux paysans , les uns prosternés, les autres tenant un chapelet dans leurs mains jointes, tous priant avec un redoublement de ferveur, mais sans uniformité soit dans leurs mouvements, soit dans leurs attitudes. La symétrie n'y était pas ; mais il y avait mieux que cela pour tout observateur qui ne s'arrêtait pas aux harmonies superficielles. En même temps, les tambours battaient aux champs, les artilleurs des chouans et ceux des bleus , stimulés par une émulation à laquelle les occasions avaient manqué jusque alors, tiraient à outrance comme s'il s'était agi de décider le gain d'une grande bataille, et les décharges des douze ou quinze canons qui étaient là rangés en deux batteries parallèles , cou- 568 LA PETITE CHOUANNERIE. vraient tous les autres bruits, aussi complètement que la fumée qui en sortait cachait aux yeux tous les autres objets. Ce moment fut comme le point culminant de cette magnifique cérémonie-, à la suite de laquelle les troupes de ligne arborèrent franche- ment les couleurs qu'elles avaient récemment com- battues. A dater de ce jour, il n'y eut plus en Bre- tagne qu'une armée et un drapeau , et les idées de fusion furent portées si loin , que pendant quelque temps les chouans et leurs chefs se trouvèrent placés sous les ordres du général Rousseau I Après la messe, l'état -major des chouans alla visiter le général Bigarré à qui sa blessure n'avait permis de figurer ni dans les négociations ni dans les fêtes religieuses ou militaires ; et après cet hom- mage rendu franchement et cordialement au courage malheureux, les officiers supérieurs des deux armées se réunirent dans un banquet dont le parti vain- queur eut la prétention chevaleresque de faire les honneurs et les frais. On s estimait assez de part et d'autre pour n'éluder aucun sujet de conversation, Le général Rousseau parla de la campagne qu'il venait de faire contre les chouans, et il en parla de manière à exciter une vive indignation parmi certains bourgeois à qui ses paroles furent répétées et qui s'obstinaient à ne voir en nous que des scé- lérats et des brigands. 11 complimenta De Sol &ur la belle attitude de notre petite armée pendant le combat de Muzillac, et sur l'héroïsme avec lequel CHAPITRE XIII. 569 les enfants du collège avaient défendu leur position ; puis il voulut sayAir par qui était commandé un certain bataillon de paysans qui , sur la fin de Fac- tion , avait manœuvré sur son flanc gauche et l'avait décidé à battre en retraite. Les officiers chouans auxquels il adressait cette question se tenaient debout autour de lui , et empêchaient ses paroles d'arriver aux oreilles d'un vieux paysan chauve et infirme qui était assis tout seul dans un coin de la salle , la tête penchée sur sa poitrine et les mains pendantes entre ses jambes, et qui savait mieux que personne de qui le général Rousseau voulait parler. Celui-ci, ne recevant pas de réponse satisfaisante , répéta sa question qui fut alors mieux comprise , et ses audi- teurs , au lieu d'y répondre eux-mêmes , désignèrent du geste et du regard le vieillard que cet éloge con- cernait , et qui était trop modeste pour le réclamer ! « Comment, c'est vous qui m'avez joué ce tour-là? » s'écria Rousseau en s' approchant de Gamber qui , à Muzillac comme ailleurs, croyait n'avoir joué qu'un rôle très - subalterne ; « allons, frappez là, mon « brave , » ajouta-t-il en lui tendant fraternellement la main ; « je vous jure qu'un colonel des armées « de l'Empire n'aurait pas mieux fait. » Ce qui contribua le plus à établir des rapports de fraternité militaire entre les vainqueurs et les vaincus , ce fut le besoin éprouvé de part et d'autre de se rallier sous le même drapeau pour épargner, sinon à toute la Bretagne, du moins au Morbihan, 24 570 LA PETITE CHOUANNERIE. la honte de l'occupation étrangère. Puisque nous avions si énergiquement et si heureusement protesté contre l'usurpation des Cent-Jours, nous ne voyions pas pourquoi les puissances qui se disaient armées contre l'usurpateur seul , traiteraient en province conquise un pays qui avait su maintenir son indé- pendance , et nous, étions décidés à repousser par la force toute tentative d'invasion sur notre territoire. Il va sans dire que les troupes de ligne et même les fédérés ne demandaient pas mieux que de nous prêter main-forte , surtout quand on eut acquis la certitude que ce serait contre des Prussiens qu'on aurait à combattre. Chouans, impérialistes, et répu- blicains , tous manifestèrent la même animosité contre eux. On les accusait d'avoir voulu et de vouloir encore le démembrement de la France à leur profit , ce qui blessait la conscience religieuse des uns et la fierté patriotique des autres. Des flots de sang allaient peut-être couler sur plusieurs points de la Bretagne, si le général prussien, averti à temps par une lettre polie mais ferme que lui écrivit De Sol, n'eût rappelé auprès de lui à Rennes, où il avait son quartier -général , le détachement auquel il avait donné l'ordre de se porter sur Ploérmel. CHAPITRE XIV. Silence is the perfectesl herald of joy ; I were but lillle happy, if 1 could sa y Uow much. Shakbsphar, Much. ado about nothing. Pendant les deux mois qui s'écoulèrent entre la capitulation de Vannes et le licenciement définitif des chouans, péremptoirement ordonné par le gou- vernement royal , les intrigants et les ambitieux , dont le nombre s'était prodigieusement accru parmi 572 LÀ PETITE CHOUANNERIE. nous depuis que les chances périlleuses de la guerre avaient cessé, s'agitèrent dans tous les sens pour que leur tardif dévouement ne restât pas sans récom- pense. Leur agitation, qui pour beaucoup d'entre eux ne fut pas improductive, formait un contraste assez curieux avec le naïf désintéressement des éco- liers du collège , pour qui le plus grand avantage de cette courte campagne était de leur avoir pro- curé cinq mois de vacances au lieu de deux. Quand les classes furent rouvertes à la fin de l'automne, il n'y eut guère que les morts qui manquèrent à l'appel , et le zèle avec lequel les études classiques furent reprises, dissipa les justes inquiétudes que nos professeurs avaient conçues. Seulement ils durent se résigner à toutes les conséquences de la fausse position dans laquelle ils se trouvèrent vis à vis de nous. Ceux d'entre eux qui s'étaient le plus gra- vement compromis par leurs prédications serviles, se gardèrent bien de reparaître ; leur disparution avait même précédé notre entrée dans Vannes; mais tous ceux qui venaient de remonter dans la chaire professorale n'étaient pas sans peur et sans reproche. Notre principal surtout avait à se faire pardonner bien des faiblesses , et ce n'était qu'à force d'indulgence et de concessions que ce pardon pouvait s'obtenir. Aussi ses remontrances étaient- elles descendues du ton magistral au ton paternel, et du ton paternel au ton suppliant, surtout vis à vis des élèves qui avaient occupé un grade ou qui CHAPITRE XIV. 575 s'étaient fait un nom par leur bravoure. Toutes les fois qu'un grand personnage était envoyé en mis- sion dans notre département , il venait voir le col- lège de Vannes comme on va voir un musée, et il nous adressait, en présence du pauvre principal, des félicitations dont il se serait abstenu par pitié, s'il avait pu voir tout ce qui se passait sur le visage de son introducteur. Ce genre de supplice se renou- velait trop souvent pour que la discipline scholas- tique n'en reçût pas de graves atteintes. C'était le gouvernement démocratique avec toute sa turbu- lence et même avec ses tribuns du peuple, rôle d'au- tant plus glorieux à cette époque qu'il était rempli par le même orateur qui s'en était chargé , non sans quelque péril , l'année précédente. Toutes les fois qu'il y avait une faveur extraordinaire à de- mander , ou plutôt une volonté commune à noti- fier, c'était lui qui portait la parole au nom de ses camarades, et cette parole avait trop souvent l'ac- cent de la petite portion d'autorité militaire qu'il avait exercée comme officier de la compagnie. L'idée d'organiser le collège en un bataillon de garde na- tionale, qui aurait ses réunions et ses exercices périodiques et par conséquent des armes, lui ayant un jour passé par la tête, le pauvre principal n'osa pas la combattre, et l'organisation fut commencée sous ses yeux et, pour ainsi dire, avec sa coopération. Heureusement un coup d'autorité universitaire brisa cette œuvre folle , avant qu'elle eût porté ses fruits. 574 LA PETITE CHOUANNERIE. Nous avions une quantité tT anniversaires dont nous exigions impérieusement la célébration : anni- versaire de serment, anniversaire de deuil , anniver- saire de victoire , sans compter toutes les fêtes po- litiques qui se donnaient en ville, et pour lesquelles on nous avait habitués à croire qu'on ne pouvait pas se passer de nous. Quel enivrement pour celui qui, en l'absence dS ses deux collègues lancés dans d'autres carrières , remettait son écharpe d'officier pour jouer le principal rôle dans ces grandes occa- sions! L'anniversaire de notre victoire de Sainte- Anne arriva. Plusieurs de nous avaient fait dans cette journée ou dans les journées plus sanglantes de Redon, de Muzillac et d' Auray, des vœux dont ils ne s'étaient pas encore acquittés. L'occasion était belle et la saison aussi. Pourquoi les enfants à qui leur âge n'avait pas permis de partager nos périls, ne partageraient-ils pas notre reconnaissance pour la sainte patronne que nous avions invoquée , et ne s'associeraient-ils pas au pieux pèlerinage que nous allions accomplir ? On eut beau nous objecter les dix lieues de marche qu'il faudrait faire en un jour, et l'embarras qu'allait causer à nos professeurs universitaires l'hospitalité des jésuites , qui , récem- ment établis à Sainte- Anne, étaient très -disposés à nous bien accueillir ; il fut décidé que nous par- tirions tous le dimanche suivant au lever de Tau- rore. Notre procession, signalée de loin par la vue de notre drapeau, qui n'avait pas encore été bénit, GHÀPITEE XIV. 575 arriva dans l'enceinte sacrée au bruit du carillon des cloches , auquel se mêlaient les plus franches accla- mations de joie. Le chevalier de Margadel , qui nous aimait toujours comme ses enfants , nous accompa- gnait en simple pèlerin. Il y eut une messe solen- nelle , puis un Te Deum, que nous chantâmes de manière à être entendus à une demi-lieue à la ronde. La foule était si grande et l'église si petite, que les neuf dixièmes des assistants durent rester agenouillés sur le gazon du cloître. Le banquet donné par les pères jésuites fut aussi cordial que splendide, et nous, après avoir ajouté un beau jour de plus à tant d'autres dont nous nous promettions bien d'éterniser la mémoire , nous reprîmes la route de Vannes , où nous arrivâmes encore plus épuisés par nos émotions que par la fatigue. Ce fut à peu près vers cette époque qu'on nous parla pour la première fois de l'impression qu'avait produite dans de très hautes régions le bruit de nos exploits. Une relation très détaillée, rédigée sans doute par une main amie, qui ne s'était fait aucun scrupule de pécher par excès de bienveillance , avait été envoyée à Paris à l'époque de notre licencie- ment. L'on disait que certains membres de la famille royale, à qui on en avait fait la lecture, en avaient été touchés jusqu'aux larmes , et l'on ajoutait que le ministre de l'intérieur, M. Lainé, dont l'Ame toute chevaleresque était spécialement faite pour nous com- prendre , s'était exprimé devant nos députés de 576 LA PETITE CHOUANNERIE. manière à leur donner la certitude que la récom- pense réservée à notre dévouement ne se ferait pas longtemps attendre. Ce qui nous empêchait de nous livrer avec trop de confiance à cet espoir flatteur, c'était la dureté toute fiscale avec laquelle nous avions été traités au retour de notre campagne par l'université myale, à laquelle nous croyions avoir donné le droit d'être fière de quelques-uns de ses enfants. La première chose qu'elle fit pour nous, après que nous nous fûmes docilement replacés sous son joug, fut d'exiger de nous l'arriéré de la rétribution universitaire , et de menacer d'ex- clusion une quantité de pauvres élèves qui n'étaient pas en état de la payer. Et c'étaient précisément les plus pauvres qui en général s'étaient montrés les plus braves ! Et c'était pour les trois mois pendant lesquels tous avaient risqué leur vie et plusieurs versé leur sang, qu'on leur adressait cette impudente récla- mation! Notre principal, non moins indigné que nous , mais charmé qu'on lui fournît une si bonne occasion de se réhabiliter à nos yeux , se chargea de répondre aux deux sommations consécutives qu'on lui avait ordonné de nous faire , et l'on peut lire encore aujourd'hui sur le registre des délibérations du conseil du collège la remontrance presque auda- cieuse que lui dicta le plus bel accès d'indignation qu'il eût éprouvé dans toute sa vie. Ce ne fut pas pour lui une médiocre satisfaction d'apprendre bientôt après , que ses frais d'éloquence n'avaient pas été en CHAPITRE XIV. 577 pure perte, et que Y Université, dans son indulgence maternelle, voulait bien ne pas poursuivre à outrance le recouvrement de la dette contractée par nous au bivouac et sur les cbamps de bataille. Ce début dans nos relations avec le nouveau gou- vernement nous avait presque découragés, quand tout à coup le bruit se répandit en ville et dans le collège, qu'un maréchal de camp qui portait un des plus beaux noms de France, était arrivé pour prendre le commandement militaire du département, et qu'il était chargé par Sa Majesté Louis XVIII de dis- tribuer des récompenses à ceux d'entre nous qui s'étaient le plus distingués par leur bravoure per- sonnelle. En effet nous vîmes arriver à quelques jours de là un jeune marquis bien élégant , en uni- forme de général , et nous eûmes quelque peine à nous contenir en sa présence, quand nous eûmes reçu de sa bouche la confirmation de tous les bruits qui l'avaient devancé parmi nous. Il disait en propres termes que le Roi lui avait donné une mission spé- ciale à remplir, et qu il lui tardait de s'en acquitter auprès de ceux que leurs camarades auraient désignés comme les plus dignes. Il voulut que la désignation se fît le jour même et, pour ainsi dire, séance tenante, et le lendemain, les six élus (chaque classe avait nommé le sien) s'acheminèrent tout rayonnants d'es- pérance vers la demeure de l'illustre personnage, qui savait si bien représenter la Majesté Royale. En attendant leur retour, on fit des conjectures à 578 LA PETITE CHOUANNERIE. Fin fini. « On va leur donner des lettres de noblesse « ou les faire entrer dans des compagnies de gardes « du corps, » disaient les uns. « Peut-être revien- « dront-ils avec une croix d'honneur ou de Saint- « Louis à la boutonnière , » disaient les autres. Un petit bourgeois parla d'une gratification pécu- niaire et fut honni par ses camarades. Enfin les six élus reparurent , précédés par notre principal en grand costume universitaire; tous avaient la tête basse comme des criminels- revenant du pilori. Le noble marquis leur avait donné, au nom du Roi... la décoration du Lys (4) ! Après une pareille mystification , les bruits les mieux fondés durent naturellement nous trouver in- crédules. On avait beau nous dire que M. Lainé nous destinait une récompense éclatante, et que le rap- port qui nous concernait avait été rédigé par lui dans des termes qui ne pouvaient manquer d'em- porter d'emblée la signature royale : toutes les pro- messes de ce genre nous étaient devenues suspectes , et notre incrédulité ne fut vaincue 'que le jour où nous pûmes enfin lire dans le Moniteur l'ordon- nance si impatiemment attendue. Les dispositions en étaient magnifiques et allaient bien au-delà de nos (1) Cette élection n'en fut pas moins honorable pour les six élèves désignés par leurs camarades comme s' étant plus particu- lièrement distingués par des actes de bravoure. Il est juste que leurs noms soient connus de mes lecteurs bretons : Lecorre, de Sarzeau; Lecorre, de Lanvodan; Valy, de Lanvodan; Allio, de Lanvodan ; Guillôme, de Malguénac, et Le Diffon. CHAPITRE XIV. 579 modestes prétentions. Le dévouement des pauvres écoliers qui avaient été tués ou blessés , était récom- pensé par des pensions accordées à leurs parents ou à eux-mêmes; plusieurs bourses étaient fondées à perpétuité dans le collège de Vannes , au profit des familles auxquelles appartenaient les petits guerriers qui venaient de l'illustrer. Enfin les trois officiers , dont un seul était rentré au collège avec ses cama- rades, étaient nommés chevaliers de la Légion-d 1 Hon- neur. C'était à ce dernier qu'étaient réservées les joies les plus enivrantes. J'ai dit dans le chapitre VIII de cet ouvrage qu'il y avait eu parmi nous des amis vraiment héroïques, que j'aurais pu en nommer un qui veillait avec une sol- licitude toute paternelle sur un compagnon d'armes un peu plus jeune que lui , qui doublait ses veilles, ses privations et ses fatigues de tout genre , pour diminuer celles de son pupille, et qui le soir, après les plus longues marches , le faisait prier avec lui bon gré mal gré, pour que la mort ne le prit pas au dépourvu. Eh bien ! quand on eut dressé l'autel sur lequel devait avoir lieu la cérémonie de réception, ce furent ces deux amis qui vinrent s'y agenouiller en- semble, avec le délicieux pressentiment qu'une amitié consacrée par un pareil souvenir serait éternelle. C'était sur la plate -forme de la promenade de la Garenne , lieu de lugubre mémoire , malgré ses frais ombrages et ses jolis points de vue. On peut dire que le sang y coula à flots après la catas- 580 LA PETITE CHOUANNERIE. trophe de Quiberon. Là moururent Sombreuil et l'évéque de Dol , et plus tard le terrible Guillemot, moins fameux, mais non moins héroïque. Un besoin analogue à celui qu'éprouvaient les païens d'apaiser les mânes de certaines victimes , suggéra l'idée de célébrer une messe expiatoire sur ce sol rougi et engraissé par tant de sanglantes exécutions. Les auto- rités civiles et militaires y assistaient en grand cos- tume, la garnison y était avec ses tambours et sa musique. Les habitants de la ville et des faubourgs s'y trouvaient presque tous, les uns par sympathie, les autres par curiosité. Quant à ceux que le remords avait retenus chez eux , on les remarquait d'autant plus qu'on ne les y voyait pas. Prœfulgebant eo ipso qubd non visebantur. Une foule de chouans des cam- pagnes environnantes étaient arrivés dès le matin avec leurs femmes et leurs enfants, pour être témoins ou plutôt partie de la fête, qui cette fois-là avait été annoncée longtemps d'avance. Mais on n'y venait pas en habit ni en visage de deuil comme pour une com- mémoration funèbre, et les imaginations étaient bien plus préoccupées des vivants que des morts. En un mot, le bruit avait couru que les honneurs de la journée seraient pour les écoliers du collège, et c'était surtout pour eux que les jeunes filles s'étaient endimanchées. Une messe expiatoire avec une cérémonie chevale- resque où les dames intervenaient comme au moyen- âge , ne parut à personne une disparate choquante. CHAPITRE XI?. 584 Dès que le célébrant eut descendu les marches de l'autel , on y vit monter deux femmes élégamment vêtues , dont la vue fit comprendre aux deux amis destinés a être décorés par elles , que le souvenir de cette journée ne pouvait pas être également doux pour l'un et pour l'autre. Celle qui , en sa qualité d'épouse du premier magistrat du département , occupait la droite, était une vénérable matrone, pleine de cœur et de dignité; mais sa compagne, qui ne figurait dans cette cérémonie qu'à contre-cœur et par déférence pour l'autorité paternelle , était pour nous tous un objet d'admiration extatique, moins à cause de sa beauté qui pourtant était éblouissante, que par un charme indéfinissable répandu sur toute sa personne. Ce jour-là, l'enthousiasme, qui perçait visiblement à travers l'embarras que lui causait son rôle , semblait animer un peu son regard naturelle- ment triste et voilé. L'officier qui présidait au céré- monial de la fête, après lui avoir dit quelques mots à l'oreille, vint trouver les deux récipiendaires, dont le plus jeune n'était pas trop flatté du sort que lui présa- geaient et son infériorité d'âge et son infériorité de grade. Qu'on se figure le pétillement de sa joie, quand il sut que ce serait précisément le contraire, que non- seulement il recevrait à genoux la croix d'honneur des mains de mademoiselle d'Olonne (>!), mais qu'en (1) Fille du comte d'Olonne, qui venait de succéder au marquis de Montmorency dans le commandement militaire du départe- ment. Elle lui aurait gagné tous les cœurs s'il avait eu besoin 582 LA PETITE CHOUANNERIE. se relevant de cette posture suppliante, il aurait le privilège de l'embrasser sur les deux joues. Il fallait toute la naïveté bretonne pour qu'on ne fût pas un peu effarouché de ce double baiser donné sur les marches mêmes d'un autel. Mais les imaginations étaient montées sur un ton qui rendait la critique impossible. Quand les deux élèves, à la fois amis, frères d'armes, et compagnons d'études, s'avancèrent pour s'agenouiller devant leurs dames, les applau- dissements et les cris de joie éclatèrent de toute part ; ils redoublèrent quand on en vint à la partie la plus intéressante de la cérémonie, ils furent assourdissants comme des coups de tonnerre, quand, déférant au vœu bruyamment exprimé par l'assemblée , made- moiselle d'Olonne , qui était devenue elle-même un objet d'enthousiasme , rendit gracieusement à son chevalier l'accolade qu'elle en avait reçue. Pour lui , il était dans un état d'ivresse qui ne lui permettait de rien entendre ni de rien voir, pas même les marches qu'il avait à descendre. Aussi eut-il besoin , pour ne pas tomber, d'être soutenu par ses cama- rades. Jamais tête si jeune n'avait été bouleversée à ce point par les vertiges de la gloire. Et le bouleversement ne finit pas avec cette journée. Rentré au collège avec sa croix d'honneur à laquelle il joignait quelquefois la croix de sa classe , il offrit d'auxiliaire pour cette conquête. Elle prit le voile très-peu d'an- nées après , et mourut à la fleur de l'âge, dans un couvent de Lorraine. CHAPITRE XIV, 585 encore pendant plusieurs mois aux visiteurs étran- gers un spectacle nouveau , dont ses condisciples étaient fiers et qui mit le comble à sa popularité. Il passait deux fois par jour devant un corps-de-garde qu'on avait établi à côté de notre église , et deux fois par jour des groupes de curieux se formaient 6ur la Grande -Place pour voir la sentinelle lui rendre, souvent à contre-cœur, les honneurs militaires : et tout cela se passait devant cette même porte à laquelle on avait voulu naguère nous clouer à coups de baïon- nette, et au-dessus de laquelle on avait voulu peindre, pour nous narguer, ce malencontreux oiseau, qu'on venait de remplacer par d'ingénieux emblèmes sur lesquels nous comptions pour transmettre aux géné- rations futures le souvenir de nos exploits* Nous comptions au moins autant sur un certain article de Y ordonnance royale rendue à notre sujet, article, selon nous, bien précieux , en vertu duquel cette même ordonnance devait être lue tous les ans , le jour de l'ouverture des classes, en présence de tous les élèves , pour servir de point de départ à une tradition locale. Cette belle idée, qui venait encore de M. Laîné , ne fut comprise ni par les autorités départementales ni par les autorités universaires, qui ne furent pas fâchées de voir cet usage tomber en désuétude ; de sorte qu'au bout de quelques années, nos communications avec la postérité par cette voie traditionnelle, furent tout à fait interceptées, et pour comble de désenchantement, la révolution de juillet 584 LA PETITE CHOUANNERIE. vint effacer de dessus la porte nos inscriptions et nos emblèmes, et traita nos croix d'honneur, nos fleurs de lys et nos drapeaux blancs de la même manière que nous avions traité l'aigle impériale. Heureusement nos prouesses enfantines trou- vèrent un panégyriste éloquent et compétent dans celui de tous les écrivains contemporains qui nous offrait les plus belles chances d'immortalité. Et cet écrivain était breton lui-même, et il avait travaillé par son génie à la résurrection du culte catholique pendant que ses compatriotes y travaillaient par les combats , et il avait rompu en même temps qu'eux , et par le même genre de répugnance , avec le des- potisme impérial , et dans toutes les crises de la patrie il leur a donné de loin de si nobles exemples , que la Bretagne a fini par s'honorer encore plus de son caractère que de ses écrits. On devine sans peine que je veux parler du vicomte de Chateaubriand, dans les œuvres duquel on trouve un opuscule qui contient les lignes suivantes : « Pendant les Cent - Jours , dans la terre du « royalisme apparut tout à coup une armée d'en- « fants : les vieux avaient vingt ans , les jeunes en « avaient quinze. « Tout ce qui se trouvait entre ces deux âges, « parmi les élèves du collège de Vannes , échangea « cè qu'on peut posséder, au collège, de quelque « valeur, contre des armes, et courut au combat. « Quinze ou vingt élèves furent tués : les mères CHAPITRE XIV. 585 « apprirent le danger en apprenant la mort et la « gloire (4). Il n'en fallait pas davantage pour préserver ce petit fait historique de l'oubli où tant d'autres faits plus importants ont été ensevelis sans retour. Après cette première glorification , sont venues des consé- crations poétiques , et pour cela il y a eu une sorte de rivalité entre les poètes de la grande et ceux de la petite Bretagne. Parmi ces derniers il s'est trouvé un enfant du Morbihan, qui en donnant à la France le délicieux poème de Marie , à pour ainsi dire rajeuni la gloire du collège de Vannes , d'où il vit sortir les derniers écoliers chouans au moment où il venait lui-même y cueillir ses premières palmes; et c'est en combinant ces vagues souvenirs de son enfance avec l'impression produite sur lui par la lecture de quelques pages de ce récit, qu'il a fait jaillir de son imagination et de son cœur le chef- d'œuvre par lequel je m'estime heureux de terminer mon ouvrage. (1) Œuvres complètes, édit. Pourrat, t. xxvn, p. 331. 35 LES ÉCOLIERS DE VANNES, i. Leurs livres à la main, sous le bras leurs eahiers, De Vannes chaque jour sortaient les éeoliers ; Comme si, dans ce mois de fcéte êt d'tfllégre&lé, Ils voulaient au soleil déployer leur jetfftesse, Dans les prés lire Ovide, et, so&s les buissons veMs, Aux appels des oiseaux fépofidre par des tert. 588 LA PETITE CHOUANNERIE. Mais les buissons cachaient des armes, les vallées Par le seul maniment du fer étaient troublées ; Là, s'exerçant dans l'ombre à de prochains combats, Les hardis écoliers devenaient des soldats; Car déjà Bonaparte, ou le démon des guerres, De son Ue arrivait pour désoler les mères. Or, cette fois les fils crièrent : « C'est assez ! « Nos pdrents, nos amis pour lui sont trépassés ; « Leurs os semés partout feraient une montagne ; « Nous, puisqu'il faut mourir, nous mourrons en Bretagne! Un soir (nulle clarté sur terre, nulle au ciel ), Dans une humble maison fut construit un autel, Et, par de longs détours marchant vers cette église, Tous vinrent se liguer pour leur grande entreprise. Keilec au rendez-vous arriva le premier, Vert comme un jeune pin et franc comme l'acier ; ft» les deux Nicolas, frères mélancoliques, Qui semblaient entrevoir leurs tombeaux héroïques ; Flohic, aujourd'hui prêtre ; Er-'Hor, le joyeux gars j Et l'éloquent Riô, l'enfant de l'Ile d'Arz. Oh ! ce fut un moment religieux, mais triste, Quand, revêtu de noir, grave séminariste, Le Ben-vel s'écria : « Mes amis, à genoux ! « Et prions pour les morts qui prîront Dieu pour nous. » CHAPITRE XIV. La prière fut dite, et, Pâme plus tranquille, Tous posèrent la main sur le saint Évangile ; Puis chacun prononça rengagement fatal. Lorsque après Colomban (4), vint le tour dç Gan-dal (2), Les cœurs furent saisis d'une tristesse amère : « Oh ! Gan-dal est trop jeune l oh ! rendons-lui sa mère ! » Seul, Tiec le chanteur retint le noble enfant : « Si chacun d'entre vous, comme moi, le défend, « Sans crainte il peut rester; s'il meurt, chacun le vengé. « De grâce, mes amis, ne laissons pas notre ange ! » Et le barde entonna son chant lugubre et fort, Ce chant qui fut bientôt étouffé par la mort : « Sortez de vos dôl-men, nos pères les Vénètes, « Ombres qui gémissez encor sur vos défaites ! « pères, voici notre jour : « Combattez avec nous, César est de retour ! » — A présent, jeunes clercs, et vous, soldats, aux armes 1 Hélas ! de toutes parts et du sang et des larmes 1 L'Armorique pleurant ses fils qui ne sont plus ; La France, ses héros d'Arcole et de Fleurus !... (1) Tué à Auray. (2) Mort de fatigue. f$Q LA PETITE CHOUANNERIE. II. Ah 1 > aperçais le» Btancs i La légion eafèw* Marins et laboureurs, cawkat sur la rivière i Ay milieu de leurs rangs s'agite Ça4ou-flaUi L'œil sinistre et hagard, souveat le général Se tourne vers le bourgs et regarde et demanda Si Gam-betr, le meunier, arrive ayee sa bande» I^es çUwÛps SPftt déserW, et déserts les sentiers. Là-bas , sur un coteau tiennent les écoliers ; Mais leur poudrç s'épuise, et, bravant la décharge, Les Bleus, l'arme en avant, montent au pas de change. Au premier çoup de feu tombe un des Nicolas : Pleure, toi, son jumeau, qui dois le suivre, h§la$! Mais, leurs robes de chanvre à la hâte nouées, Quel ançe les conduit, ces femmes dévouées, Hors d'haleine, apportant les balles que leur main Fondait, durant la nuit, de leurs cuillers d'étain? Courage, Ô jeunes gens ! sur ces hautes pelouses Voici, derrière vous, vos futures épouses! Vos mères, les voici debout à vos côtés! Le pied sur votre sol, enfin, vous combattez! reine des Bretons, Liberté doucç.efcljUîW* CHAPITRE XIV. m As-tu donc soifs le ciel une douWe bannière? En ces temps orageux j'aw&is suivi tes pas Où Cambronne mourait et ne se rendait pas. Dans ces clercs, cependant, ton image est tirante, Et chantant tairs combats, Liberté, je te ehante»! Ils n'avaient plus qu'on choix, ces ils de paysans y Ou prêtres ou soldats; - ils se sont faite chouans * Et leur pays les voit tombant swr tes bruyères, Sans grades, tous égaux, tous chrétiens et tous frères. Hymnes médiateurs, éclate», noble» ehantsi Vanne aussi m'a nourri, mon nom est siïT ses bancs ; J'ai nagé dans son port et chassé d&ns ses Mes, J'ai vu les vieux débris de ses guerres civiles; Puis je connais le ctoitre où> le moine Àheitard Vers la libre pensée élevait son regaré. Planez sur les deux camps, ô voix médiatrices, Et fermons* au joufrd' hiri toutes tes cicatrices t . . . Ces enfants, accablés du poids de leurs tarife, Ils partirent trois cents, combien reràeft4ro9ftf»ifo? Toujours une fumée entoure la colline, Voile où la Mort se cache et lâchement butine. Barde, ô dans la mêlée écho retentissant, Bouche d'or,, te voilà toute plein» de saog, t Maudite soit la main et maudît» répée 592 LA PETITE CHOUANNERIE. Par qui cygne blanc la gorge fut coupée 1 Mais Gam-berr, mais le chef si longtemps attendu, Il vient I comme Grouchy, lui ne s'est point perdu. — Ici, terreur soudaine; ici, nouveaux carnages. Dieu soit en aide aux Bleus 1 — O chouans ! ô sauvages ! Sur ces pâles fuyards lancés comme des loups, N'aurez-vous point pitié de chrétiens comme vous? Voyez ! pour effacer vos traces meurtrières, Vos fils vont relevant ceux qu'abattent leurs pères! Le sang de ce soldat couché dans les sillons, Le doux Gan-dal l'essuie avec ses cheveux blonds? Ce soir dans Muzillac célébrez vos batailles , Eux ils entonneront le chant des funérailles ; Remplissez au banquet les verres jusqu'aux bords , Dans la couche éternelle ils étendront les morts ! Mais, durant ces trois mois de haines enflammées, Dois-je aux traces du sang suivre les deux armées Jusqu'au Champ des Martyrs, quand, le front dans sa mail Gam-berr vaincu pleura sur le bord du chemin? III. Un air joyeux circule autour des métairies : Le foin remplit les cours, dans les grasses prairies CHAPITRE XIV. 595 Les rires des faneurs partout sont entendus, Et je vois les fusils aux foyers suspendus. « Pour un jour de travail comme tous voilà belle 1 « Votre galant du bourg, voisine, vous appelle? « — Non, railleur 1 non, méchant 1 à Vannes je m'en vais « Ouïr une grand 1 messe en l'honneur de la paix, « Les prêtres ont dressé l'autel sur la garenne, « Et mon brave filleul, s'il faut qu'on vous l'apprenne, « Celui qui s'est battu pour vous durant trois mois, « Sous les yeux de son chef doit recevoir la croix. « — Oh 1 Dieu veille sur luil c'est un brave dans l'âme. « Moi, je vais à mon pré. Gloire à vous, noble femme 1 » Quelle foule ! soldats, ouvriers et marchands, Les hommes de la mer et les hommes des champs, . Et leurs filles aussi, sous les coiffes de neige, Brillant comme des fleurs au milieu du cortège, Fleurs de Loc-Maria, de Lî-mur, de Ban-gor ; Tous les prêtres enfin avec leurs chappes d'or. Mais, silence! le diacre, à la main son calice, Vient suivi de l'évêque et prépare l'office. — Vous, pieux assistants, à genoux 1 à genoux! Et priez pour les morts qui prlront Dieu pour vous. Surtout, poatifes saints, point d'hymnes de victoire, 594 LA PETITE CHOUANNERIE. Mais dites en pleurant la masse expiatoire De ces fureur» èe sang par qui mnt emàhi* Les fils d'un même père et d'un même pays. Puis ces jeunes vainqueurs, purifiés; e* ealme» r Aux marches de l'autel iroal eneillir leuf*patene&.— - Hélas! loin de l'étude un moment attirés, Combien du bruit des camps restèrent enivrés ï Comme les labourears au sot qui les fait vivre , Quelques-uns cependant revinrent à leur livre ; Paré du ruban rouge, un (Feux, matin et soir, • Sur tes bancs studieux fiéèle vint s'asseoir ; 11 déposa i'épée, il ouètia ses grades Pour lutter de science avec ses camarades, Mais, en classa,, toujours te ruba» glorieux Fixé sur son* habk éUtemsait leurs yeux ; Et quand l'enfant passait, souvent sa mère en termes À vu de vieuaL saMate qa» lai portaient tes armes. IV. Ainsi, de F avenir devançant L'équité, Quand L'atreea «Lairo» m''es4 plu» seul écouté, Fa^Bo»fflfej^expifuai»to deratèr* querelle, CHAPITRE XIV. 595 Au joug des conquérants race toujours rebelle, Qui portes dans tes yeux, ton cœur et ton esprit, Le nom de Liberté par Dieu lui-même écrit. Et cependant, pleurez, flers partisans de Vanne 1 Celle que nous suivions depuis la duchesse Anne, Dans le sang se noya ! Les noirs oiseaux du Nord Volèrent par milliers autour de l'aigle mort : Les corbeaux insultaient à cette grande proie Et dépeçaient sa chair avec des cris de joie ! I. For honest men of every blood and creed Let green la Vendée rest a sacred spot l Be ail the guilt of Quiberon forgot In the bright memory of its martyr-deed ! 41et this little book be one more seed, CHAPITRE XIV. 597 Whence sympathies may spring, encumbered not By circumstance of birth or mortal lot , But claiming virtue's universal meed ! And as those two great languages, whose sound Has echoed trough the realms of modem time, Feeding with thought and sentiments sublime Each other and the listening world around, Meet in thèse pages, as on neutral ground, Somay their nations' hearts in sweet accord be found 1 II. France and England I on whose lofty crests The day-spring of the future flows so free, Save where the cloud of your hostility Settles between and holy light arrests, Shall ye, first instruments of God's behests, But blunt each other? Shall Barbarians see The two fair sisters of civility Turn a fierce wrath against each other 1 s breasts? No l by our common hope and being, nol By the expanding might and bliss of Peace, 398 LA PETITE ClOVARMEftlE. By tbe rerealed fatoity of i England and France shall not bc foc to foe : For how can earth her store of good increase, If what God tores to roake, man's passions still wiil R. M. MmtEs. FEf.